Dieu, etc (jour 13)

13^ème jour

Si la Terre n’existe plus, si je suis le dernier humain vivant, ai-je la responsabilité du futur de mon espèce ? Cela me donne t-il un poids, une importance différente ? Visiu et les Géens vont-ils me parquer ainsi pour tout le reste de mon existence en me protégeant, comme nous avons pu le faire sur ma planète avec, par exemple, les quelques centaines de gorilles survivants au Congo, au Rwanda et en Ouganda ?

Contrairement à ces animaux, je suis dans l’incapacité de me reproduire, je porte donc en moi la mortalité de mon espèce. Je suis – et je serai à tout jamais – le dernier humain. A moins que nos amis extraterrestres aient un programme de reproduction in-vitro. A moins qu’ils aient fait, je ne sais quand et comment, des prélèvements d’ovules et qu’ils comptent se servir de moi comme d’un étalon.

Même si cette pensée me semble tout d’abord flatteuse – priorité à l’orgueil masculin – je me rends rapidement compte que c’est un poids que je ne souhaite pas porter.

Etre le Père de la future Humanité.

Moi qui, jusqu’ici, n’ait jamais voulu avoir un enfant – Ca gueule, ça court partout, ça touche à tout et ça n’écoute rien – je m’imagine mal ayant des multitudes de descendants tout ça pour sauver la race humaine ! Ou alors, qu’on ne me demande pas de m’en occuper ! Ils n’ont qu’à faire un casting géant A la recherche de la Nounou E.T parfaite !

Et si tout cela n’était encore qu’une manipulation de Visiu, tout comme il l’a déjà fait auparavant lorsqu’il m’a fait croire que Nasia n’existait pas ? Peut-être cela n’est-il encore qu’un simple test ? Ou un moteur pour déclencher un comportement. Mais lequel ?

Me sentir chargé d’une importance ou d’une responsabilité supérieure à ma propre existence ? Ou au contraire me créer une dépendance à mes ravisseurs du fait de cette nouvelle solitude ?

Je ne compte pas passer toute cette nouvelle journée à attendre en broyant du noir et à me poser des questions existentielles. Je me lève et avant même de passer dans le mode lavage – rinçage – essorage, je m’adresse au plafond :

-       « Visiu, je sais que tu m’observes quelque part ! J’ai besoin de te voir immédiatement !! Alors, déboule illico !!! »

Une minute – il faut lui laisser le temps d’arriver.

Deux minutes.

…

Cinq minutes.

Bon, il fait quoi là bordel !!!

Le rectangle de lumière apparaît enfin et mon extraterrestre arrive, comme si de rien n’était.

-       « J’avais bien raison quand je disais que tu m’espionnais, la preuve en est faite ! »

-       « Ce n’est pas parce que je réponds à votre appel que je passe mon temps à vous espionner, comme vous avez l’air de le croire. Peu importe de toute façon, je n’ai pas à me justifier à vos yeux. Pourquoi m’avez-vous appelé ? »

Qu’est-ce qu’il m’énerve quand il prend cet air supérieur ! Il a de la chance d’être mon ravisseur et que je n’ai pas d’autre choix que de prendre sur moi, parce que des fois, je… je… je ne sais pas ce que je ferais, mais bon.

-       « Tu m’as laissé entendre hier que j’étais le dernier de l’espèce humaine »

-       « Oui, j’ai sous-entendu cela en effet, c’est factuel »

-       « La terre n’existe plus ? Ma planète n’existe plus ? »

-       « Si, la terre existe toujours »

-       « Alors c’était juste pour me stresser, encore une fois, cette histoire que j’étais le dernier de mon espèce !! T’es vraiment un salaud ! »

-       « Je n’ai pas menti. Vous êtes le dernier être représentant de l’humanité »

-       « Mais tous les autres ? Les 7 milliards d’homme et femmes ? »

-       « Ils sont tous morts »

-       « Quoi !! Vous avez exterminé 7 milliards d’êtres humains !! Une race entière ! »

-       « Déjà vous baissez un peu le ton, moi je ne vous agresse pas » me dit-il en s’asseyant comme si de rien n’était. « Je vous ai sauvé, me semble t-il, donc affirmer que j’ai exterminé 7 milliards d’êtres humains est une erreur »

-       « On joue sur les mots, Visiu »

-       « Franchement, vous croyez que l’humanité a besoin de moi pour mourir ? Depuis la nuit des temps, vous avez toujours fonctionné par clivage et recherche de pouvoir. Il y a un million d’années, vous vous battiez déjà pour une grotte ou pour un animal mort. Depuis la révolution industrielle, vous continuiez à fonctionner de la même manière, mais en pire : afin d’avoir toujours plus de pouvoir, plus d’emprise sur les autres de votre race, vous vous battez pour des territoires, des idées divergentes, des ressources. Peu importe l’objet, c’est toujours une question d’emprise et de pouvoir. Vous étiez pathétiques. »

-       « Mais pourquoi ne pas avoir montré à tous les êtres vivants, à tous les pays, que vous existez ? Le fait qu’une civilisation extraterrestre existe aurait tout remis en cause, aurait permis à chacun de se rendre compte qu’une chose essentielle nous unissait : nous sommes des terriens »

-       « La peur de l’Autre et de l’inconnu vous aurait rassemblé, une fois de plus. Et encore, que dis-je ! Cela aurait déclenché un cataclysme socio-politique. Un effondrement total de la puissance des Religions, une remise en cause de vos racines judéo-chrétiennes me semble t-il. D’autre part, vous auriez tous agi exactement de la même manière que vous l’avez toujours fait. Mêmes causes : mêmes effets »

-       « C’est à dire ? »

-       « Bien entendu, vous avez raison de dire que l’espèce humaine, prenant conscience qu’il existe d’autres espèces dans l’univers, se serait tout d’abord unifiée contre moi. La peur rassemble la meute la plus éparse et conflictuelle. Mais très rapidement, si je n’avais pas essayé de vous détruire, que se serait-il passé ? Objectivement ? »

-       « Nous aurions pu apprendre beaucoup de vous, enrichir nos connaissances et nos technologies, je ne sais pas moi »

-       « Chacun de vos gouvernements et de vos grands gourous lobbyistes aurait tenté de me manipuler pour avoir plus de technologie ou de connaissance que les autres, pour pouvoir finalement avoir plus d’emprise et de pouvoir sur ses adversaires. Chacun aurait essayé de m’utiliser pour écraser l’autre, c’est un défaut de conception dans votre nature »

Je veux argumenter. Je veux lui dire à cette saloperie d’extraterrestre intransigeante qu’il se trompe sur l’espèce humaine. Plus je réfléchis à ce qu’il vient de dire, plus je me rends compte qu’il est probablement dans le vrai. Je ne trouve pas d’arguments outre les philosophies utopiques qui nous permettent à chacun de rêver sur l’idéal de la nature humaine. Mais même les mouvements les plus tolérants et prônant la compassion n’ont-ils pas utilisé les engouements des populations pour avoir plus de pouvoir à terme ? Plus d’emprise sur les individus ? Je suis dégouté.

-       « Et donc que s’est-il passé si ce n’est pas toi qui a supprimé les sept milliards d’humains ? »

-       « En permanence, vous aviez des foyers de conflits, je ne vais pas tous vous les citer car les détails ne m’intéressent pas. Disons simplement qu’un a plus explosé que les autres, entraînant tous les pays dans une guerre mondiale où l’utilisation des bombes chimiques a été validée de chaque côté. Il en résulte que vous êtes le dernier être humain vivant, ou que vous le serez dans les années qui viennent. Ceux qui malheureusement ont survécu n’ont fait que retarder leur mort »

-       « Et les animaux ? Les végétaux ? Tout a été détruit ? »

-       « Non, seuls les humains ont péri. La création de votre planète datait de 4,5 milliards d’années, la vie sur terre de 3,5 milliards, l’homme depuis 1 million d’années, l’homme moderne depuis 100 mille ans, votre civilisation 2000 ans, et vous n’aurez pas plus de crédit. Les autres espèces feront ce qu’elles ont toujours fait contrairement à vous : elles s’adapteront et évolueront. Probablement mieux sans vous d’ailleurs »

J’accuse le coup avec pragmatisme. J’aurai envie d’être en colère mais contre qui ? Contre quoi ? Contre Visiu ? S’il ne me ment pas, je lui dois ma survie. Je ne sais plus que dire. Je suis à la fois abattu et revigoré pour une raison étrange que je ne sais définir.

-       «  Vous avez pris des ovules sur terre pour me faire créer des enfants ? C’est ça ? », me sentant cette fois-ci presque – j’insiste sur le presque – décidé à faire mon devoir.

-       «  Pour avoir d’autres destructeurs en puissance ?!! Certainement pas. La tare est génétique. Il vaut mieux que tout cela s’arrête ! »

-       « Mais alors… Je vais passer le reste de ma vie dans cette pièce, enfermé entre quatre murs, à attendre de mourir et à discuter religion avec toi ? »

-       « Voilà comment je vois les choses. Cette pièce est comme l’esprit humain : dessinez sur une feuille un carré défini par un point à chaque angle, plus un point au milieu de chaque côté. Vous disposez donc d’un carré représenté par 8 points. Ajoutez un point au centre de ce carré. Vous avez neuf points. Sans lever le crayon, tracez 4 droites qui passent par tous ces points, ces droites peuvent passer plusieurs fois sur le même point »

-       « Neuf points et quatre droites ? Mais c’est impossible »

-       « Alors vous resterez dans cette pièce jusqu’à la fin de vos jours, je suis désolé… »

Il se lève et disparaît une fois encore, me laissant plongé dans mes réflexions, à me casser la tête sur cette énigme, comme si – mais en fait, c’est le cas – ma vie en dépendait.

Ils sont sadiques ces extraterrestres.