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mon univers littéraire décalé
8 août 2014

Un temps à ne pas... (chap 8)

Aujourd'hui est un grand jour pour moi. Une de ces journées où l'on se sent différent, nouveau et plein d'espoir sur l'avenir.

Nous sommes le jeudi 20 avril.

Jusqu'à cet après-midi, il est vrai que la journée n'avait rien eu de spécial, c'était simplement un jour comme tous ceux qui avaient précédé. Mon père n'était pas rentré pour manger avec nous à midi, et nous étions restés seuls, Maman et moi. Elle fumait toujours autant et n'était pas de très bonne humeur. Avec les semaines qui passaient, et cette mauvaise humeur qui persistait, je me faisais beaucoup de soucis pour ma mère. J'évitais cependant de lui poser des questions, sachant qu'elles n'auraient pas de réponse. Ma mère devait me préserver de quelque chose, mais je ne savais pas de quoi. J'avais appris que la seule manière de ne pas la contrarier était de me taire. Je ne la harcelais plus de questions concernant mon passé - les albums photos que je souhaitais tant voir et qui restaient introuvables dans la maison - mon frère.

Je savais qu'à n'importe laquelle de ces interrogations, elle me répondrait par une monosyllabe "oui" "non". J'espérais qu'en ne la laissant pas seule et en respectant son silence, elle deviendrait moins solitaire et m'en serait reconnaissant. J'étais très contrarié de la sentir si renfermée sur elle-même et je ne savais vraiment pas quoi faire pour qu'elle retrouve son sourire. La seule personne qui arrivait à la divertir était Joëlle. Elle venait toujours tous les vendredis pour emmener ma mère au bridge. J'étais assez gêné à chacune de ses visites. Elle était très gentille et douce avec moi mais m'observait. Elle m'observait dés qu'elle pensait que je ne la voyais pas. Mais je sentais son regard sur ma nuque. Ca me picotait. Je me forçais à ne pas me retourner tout de suite  pour ne pas la blesser et je bougeais un peu, afin qu'elle comprenne que j'avais senti quelque chose. Dans ces moments là, ma mère riait beaucoup. J'étais heureux pour ma mère. J'aurai tant aimé pouvoir lui apporter le même réconfort.

Une fois, ma mère m'avait parlé de mon frère, après que je lui ai posé au moins dix fois la question pendant l'après-midi. Elle s'était énervée et m'avait dit, comme si cela élucidait le problème :

"Ton frère est parti vivre dans le Sud. Voilà, t'es content ? Tu vas pouvoir penser à autre chose maintenant et ne plus m'emmerder avec ça !"

J'étais abasourdi. Jamais je n'avais entendu un gros mot sortir de la bouche de ma mère. J'étais resté assis pendant qu'elle se levait et montait dans sa chambre. Je ne savais même pas depuis combien d'années il était parti vivre dans le sud de la France, ce qu'il y faisait, s'il travaillait. Bref, je ne savais rien. Mais je ne demandais plus. Dans mon ventre, le manque m'oppressait. Je vivais dans une maison qui avait vécu sans moi pendant quatorze longues années. Il me manquait des pièces au puzzle. Je n'arrivais pas à retrouver les morceaux perdus et reconstituer l'ensemble. Malgré tout, je sentais que c'était primordial pour moi de connaître les événements auxquels je n'avais pu assister. C'était le seul moyen pour que ma vie de famille présente ait du sens. Mon passé était ailleurs. J'avais des souvenirs, bien entendu. Neuf années à l'Institut Médico-Educatif où ma mère m'avait laissé et cinq ans au CAT. Mais malgré tous les événements que j'y avais vécu, tous les rires, les larmes, les longues heures d'attente, je n'arrivais pas à intégrer ces années de ma vie à ce jour où ma mère m'avait emmené. C'était autre chose, comme si j'avais eu une autre vie.

Jamais, depuis mon retour, ma mère ne m'avait posé des questions sur ma vie loin de la maison pendant ces quatorze années. Elle voulait me montrer que maintenant c'était autre chose, un nouveau départ. Une nouvelle vie. J'en étais conscient moi aussi mais parfois j'avais envie de lui parler de Nadia - ma petite blanche neige - et de mes amis au Centre et de mon adolescence à l'IME. De ces difficiles journées où les moniteurs n'étaient pas toujours aussi sympas qu'ils en avaient l'air. Les gestes violents parfois. D'autres gênant. Mais je préférais occulter les mauvais souvenirs. Je les enfermais là, quelque part dans ma tête, avec tous les autres. J'avais mis une pancarte "interdit d'y penser" et je n'y pensais plus. Pour ne pas souffrir.

Nous venions juste de déjeuner - comme à l'accoutumée - rapidement. J'avais remarqué depuis quelques temps que ma mère n'allait plus dans le salon après déjeuner et que les pelotes de laine bleue avaient disparu. Elle ne tricotait plus depuis quelques temps. Lorsque je m'en étais aperçu, j'avais imaginé mon joli pull enfin fini et prêt à m'être offert. Mais jusqu'à ce jour, elle ne m'en a jamais parlé. Cet après-midi là, elle finissait son dessert en buvant tranquillement un café. Les informations à la télévision la captivaient.

"Est-ce que je peux aller me promener en ville tout seul cet après-midi, s'il te plaît Maman ?".

Elle me regarda enfin, mais ce ne fût qu'un bref instant avant qu'elle ne repose ses yeux sur l'écran.

"Fais ce que tu veux. Mais pour l'instant, j'aimerais bien pouvoir regarder les informations dans le silence, si ça ne te dérange pas".

J'allais enfin pouvoir aller me promener tout seul dans Dijon. J'avais de plus en plus envie de sortir de la maison depuis quelques temps. J'avais quitté l'univers de Dune depuis quinze jours après avoir refermé la dernière page de l'Empereur Dieu de Dune. J'espérais que Franck Herbert allait bientôt écrire une suite. Je n'avais pas encore commencé le Seigneur des Anneaux de Tolkien. En fait, j'avais eu mon overdose de lecture et je souhaitais faire autre chose de mes journées que de rester enfermé dans ma chambre. J'étais content de pouvoir sortir en ville. Ma mère était de nature inquiète et je crus bon de rajouter pour qu'elle ne s'inquiète pas :

"Merci, maman. Et puis ne t'en fais pas, je sais très bien ce qu'il faut faire et ne pas faire. Je ferai attention en traversant la rue, je ne parlerai pas aux inconn.."

"Je croyais t'avoir dit que j'aimerais bien regarder les informations en silence !".

J'étais désolé de l'avoir dérangée. De toute manière, j'étais idiot d'avoir rajouté ça car ma mère me faisait confiance, et savait bien que je ne ferai pas n'importe quoi en ville. A la fois vexé et tout content de cette nouvelle perspective, je me levais de table, rangeais mes assiettes et couverts dans l'évier, et essayais de débarrasser le maximum, pour que ma mère soit libre de regarder la télévision tranquillement.

"Ca ne te dérange pas que je finisse de manger ! T'es vraiment qu'un sale égoïste !" ajouta t-elle en se levant de sa chaise.

Elle alla dans le salon et je sortis, penaud, dans le jardin pour voir quel temps il faisait. Je ne voulais surtout pas trop me couvrir pour aller en ville. Le jardin était beau, certains arbres en fleurs. Je repensais quelques instants aux parties de jeux avec Alain et Pirouette. Je pouvais presque entendre nos rires qui résonnaient encore. Je me repris. Il faisait bon. Je décidais de mettre un petit blouson et remontais de ce pas mal assuré dans ma chambre pour me préparer.

Le soleil brillait toujours lorsque je sortis de la maison, en tout début d'après-midi, le sourire aux lèvres. Les promenades du Cours du Général de Gaulle s'étendaient devant moi jusqu'à la place Wilson. Je la distinguais à peine au loin. Je marchais tranquillement et regardait les promeneurs, les arbres, les voitures qui passaient et les superbes maisons qui bordaient le Cours. Je me sentais bien. Le soleil et le vent m'accompagnaient. Je me sentais libre et attentif à tout ce qui se passait autour de moi. J'avais toujours aimé me promener ainsi, j'avais l'impression de me plonger dans un quotidien que je ne connaissais pas. Je n'étais plus qu'un petit être dans une foule anonyme. J'étais comme eux.

Alors que je m'approchais du premier rond point, je croisais des mères qui promenaient leurs enfants, regards tendres ; des couples marchaient main dans la main. Je pensais à ma Blanche Neige à qui j'avais voulu écrire une lettre le matin même ; je souriais aux chiens qui se baladaient avec leurs maîtres. Je me sentais enfin banal. Certains passants que je croisais avaient des expressions différentes les unes des autres sur leur visage. Parfois, c'était de l'amusement qui animait leurs lèvres ;  pour d'autres, c'était de la compassion. Je me demandais ce à quoi ils pouvaient bien penser dans ces moments-là. Peut-être se souvenaient-ils d'un moment heureux ou d'une blague, peut-être d'un malheur pour les autres. Je me demandais si moi aussi j'exprimais des choses particulières en pensant, si les gens se demandaient à leur tour qu'est-ce qui me passait par la tête. L'idée me faisait sourire qu'en fait tous les gens qui se croisaient essayais de deviner ce qui se passait dans la tête de l'autre. Je marchais à l'ombre des arbres, profitant de l'air vivifiant du printemps et de ma liberté. Je me sentais un peu coupable car j'étais heureux d'aller en ville sans ma mère. Je n'aurais pas su expliquer pourquoi mais c'était ainsi. Ce n'était pas bien d'avoir des pensées comme ça mais c'était plus fort que moi. Je me sentais comme libéré d'un poids. C'est vrai que l'ambiance à la maison n'était pas des meilleures depuis quelques temps. Je me faisais du soucis pour ma mère.

Son attitude à table m'avait semblé un peu étrange, si distante. Quelque chose devait la soucier et je ne savais pas quoi faire. Elle était si préoccupée qu'elle ne m'avait même pas rendu mon sourire et mon "A tout à l'heure maman !" que j'avais voulu enjoué. Je voulais tant lui faire plaisir. Je voulais tant lui faire plaisir mais je ne savais plus comment m'y prendre.

J'entendis un jappement de chien pas loin derrière moi. Je m'arrêtais et me retournait pour voir un superbe petit cocker tout doré qui courait après sa balle. Je ris aux éclats et décidais que cet après-midi était exclusivement consacré à me faire plaisir et à profiter de tout. Je reléguais donc ma mère dans la case de mon cerveau identifiée "en attente" et repris ma marche. J'arrivais sur la place Wilson au bout d'une petite demi-heure. Il y avait un manège avec des chevaux en bois. J'adorais ça comme j'étais petit ! J'allais traverser la route lorsqu'un coup de klaxon me fit bondir en arrière. De justesse. La voiture passa et je vis que la conductrice n'avait pas l'air très contente. Je pris les passages piétons et arrivait sur le rond point central de la place. Une musique guillerette accompagnait le la ronde des cheveux pour le plaisir des plus petits et des plus grands qui les attendaient assis sur les bancs.  Je m'approchais et m'assis un moment. Une petite fille avec un bonnet à pompons faisaient de grands signes à sa maman qui la filmait. Je restais un moment à regardait cette jeune mère. Son regard débordait d'amour. Il passait de l'étonnement lorsque sa fille se relevait sur les étriers, à l'inquiétude lorsqu'elle se penchait trop, à l'amusement lorsqu'elle lui lançait des bisous. J'étais tellement ému que mes yeux s'embuaient. Je m'essuyais d'un revers de manche lorsque quelqu'un s'approcha de moi :

"Tiens..., l'enfant prodigue est de retour à la maison !".

Il avait un peu changé, mais je le reconnus immédiatement à son sourire. C'était Pascal, le fils de nos voisins. Nous avions passé de nombreux après-midi à jouer avec lui, Alain et moi, alors que nous étions encore enfants. Après les "bonjour-bonjour " "comment ça va - et toi" habituels, il me demanda en s'asseyant à côté de moi si j'étais en vacances chez mes parents. Je m'empressais de lui expliquer la formidable situation qui s'offrait à moi. J'étais tellement pressé de lui dire que j'en bégayais. Il semblait très étonné et avait un sourire bizarre sur les lèvres quand il me dit :

"Alors que comptes-tu faire maintenant que tu es normal ?"

La phrase me gênait un peu dans sa bouche. Je lui trouvais un petit goût acide mais Pascal avait toujours été quelqu'un de gentil avec moi. Il me regardais droit dans les yeux avec une telle honnêteté que je lui expliquais que je cherchais du travail sur Dijon.

"Quel genre de travail ?" me demanda t-il avec un intérêt soudain.

"Oh, je ne sais pas vraiment. Je n'ai jamais eu d'idée, et comme je n'ai jamais travaillé en dehors du Centre, je ne sais pas trop. Mais je sais faire plein de choses".

Il se leva et m'invita à le suivre.

"Tu sais, me dit-il en mettant sa main sur mon épaule, j'ai ouvert un petit restaurant dans la rue Berbizet"

Je ne voyais pas le rapport avec ce que je venais de lui dire, mais j'étais content que lui, au moins, ait du travail. Toujours la main sur mon épaule, il commença à marcher. Je suivis le mouvement, car j'avais l'intuition qu'il allait me dire quelque chose d'important - de très important pour moi. Je me sentais bien avec ce grand jeune homme qui me dépassait de presque une tête. Il me rappelait mon enfance - Alain, Pirouette, la maison et mes parents. Tout ce qui m'avait tant manqué pendant toutes ces années. Il avait l'âge d'Alain, donc cinq ou six ans mon aîné. Je l'écoutais alors avec beaucoup d'attention, comme si c'était mon grand frère qui me parlait.

"J'ai ouvert un restaurant, il y a quelques semaines avec un copain, et nous recherchons justement quelqu'un qui puisse nous aider".

Je n'étais pas sûr de bien comprendre.

"Bien entendu, ajouta t-il, ça serait super si quelqu'un comme toi pouvait travailler avec nous, c'est toujours mieux de passer ses journées avec des amis, n'est-ce pas ?"

J'acquiesçais. Mon cœur battait à tout rompre. J'avais bien compris ce qu'il voulait dire. Mais je ne savais pas quoi dire. J'avais tellement espéré ce jour qu'aujourd'hui, je n'y croyais pas. Je me tournais vers lui, le regard plein de reconnaissance. J'allais enfin travailler.

"Écoute Florian, ajouta t-il, je n'ai pas le temps d'en parler plus longtemps avec toi car je suis un peu pressé. En plus, il faut que j'en parle avec Laurent, le copain qui est avec moi. Je te propose quelque chose, tu viens me voir lundi prochain au restaurant, et on voit ce qu'on fait. En plus, Laurent sera là."

Comme s'il parlait à un enfant, il me dit :

"Tu te rappelleras l'adresse"

J'acquiesçais vivement en répétant le nom de la rue.

"Ca s'appelle Le Nocturne. Alors je t'attends lundi après-midi, Okay ?"

Mon regard devait exprimer tout ce qu'il y avait en moi car il avait presque l'air gêné. Je lui serrais la main, comme un homme nouveau. En me faisant signe, il avait toujours ce petit sourire qui m'était vaguement familier sur son visage, sans vraiment me rappeler les circonstances où je l'avais déjà remarqué. Il partit vers une voiture, la sienne je suppose, garée sur le trottoir de la place. Je le regardais partir bruyamment et répondais au coup de Klaxon qui m'était adressé par un geste de la main. J'étais impatient. Impatient d'être à lundi prochain, impatient de l'écrire à Nadia, et encore plus impatient de le dire à mes parents. Surtout à mon père qui allait être fier de moi, je le savais d'avance. J'étais si excité et si heureux que je n'avais plus aucune envie d'aller en ville. Je ne pensais plus qu'à une chose, retourner chez moi, voir ma mère et lui raconter ce qui m'était arrivé. Je pris le chemin de la maison, boitant plus que d'habitude tant je pressais le pas. Il était trois heures de l'après-midi. 

J'arrivais sous un soleil éclatant dans le jardin de la maison. La pelouse étincelait, les branches des arbres du verger voguaient avec le vent qui me caressait les cheveux. Je me hâtais vers la porte d'entrée. Je me doutais que ma mère allait être surprise de me voir revenir aussi tôt, car je lui avais dit que je comptais être absent tout l'après-midi. Il y avait tant de choses que je voulais faire en ville que je n'aurai jamais pensé être de retour à cette heure-ci. Les volets de la chambre de mes parents étaient curieusement fermés. Ma mère devait être fatiguée et avait dû se coucher pour faire une sieste. Je ne savais pas si j'allais oser la réveiller, mais j'étais tellement énervé à l'idée de lui apprendre la nouvelle que je me sentais incapable de résister à la tentation.

Mais avant, je devais me calmer un petit peu, je me sentais trop excité pour pouvoir articuler trois mots cohérents. Je m'assis sur le petit banc dans le jardin et me rappelais ces nombreuses heures que je passais, il y a bien longtemps, sur ce même banc à regarder les fleurs et les arbres de ma maison, admiratif. Le soleil se reflétait dans l'eau bleue de la piscine. Quand j'étais un petit garçon, je regardais souvent Alain se baigner et nager comme un poisson. Pirouette, dans ses moments-là, était toujours assise à côté de moi, remuant la queue et jappant dès que son maître plongeait ou disparaissait sous l'eau. J'avoue que moi aussi, j'étais intrigué. Fasciné, en fait. J'étais, bien entendu, incapable de faire une chose pareille. Une fois, Alain m'avait obligé à aller avec lui dans la piscine, pour m'apprendre à nager. J'étais paniqué. Déjà, j'avais eu beaucoup de mal à descendre les escaliers pour me retrouver dans l'eau. Je me tenais à mon frère, j'étais aussi agrippé que crispé. Le contact avec l'eau m'avait plu, c'était vrai, mais déjà l'eau me semblait un bain glacé. J'avais confiance en mon frère. Il me tenait à bout de bras, supportant tout mon poids. Il devait avoir douze ou treize ans à l'époque et nous étions seuls à la maison pour quelques heures. Ma mère avait dû partir faire des courses en ville. Je me sentais soulagé en fait qu'il n'y ait personne d'autre que nous deux et Pirouette, aucun regard sur moi, aucun rire. Juste Alain qui me parlait doucement pour me décontracter. Il me faisait allonger aussi bien que possible dans l'eau en me tenant sous le ventre. Je battais des pieds, me donnant l'illusion de nager. Alain comprenait ma joie et m'encourageait de sa voix et de ses sourires. Pirouette m'encourageait de ses couinements joueurs et de ses jappements. Nous étions heureux. Au bout d'un moment, le chien allait au bord de la piscine et se penchait dangereusement pour boire. Ca nous faisait toujours rire avec Alain car on se disait qu'on faisait tout pour éviter de boire la tasse et qu'elle en redemandait ! Surtout avec le chlore, ça ne devait pas être très bon !

Les volets étaient toujours fermés. Il était presque trois heures et demie. Mon père avait enlevé la couverture chauffante de la piscine depuis quelques jours et je voyais l'eau briller à la lumière du soleil. Elle semblait toute dorée, chaleureuse et accueillante. Les souvenirs que me donnait ce jardin me reposaient, me calmaient doucement. Mes membres tremblaient un peu moins, mon esprit s'apaisait, je me sentais un peu plus maître de mon corps et de mes émotions. Alain me manquait beaucoup. Il me manquait et je lui en voulais en fait. Pas un coup de fil, pas une nouvelle depuis quatorze années. Je ne comprenais pas pourquoi. Nous avions tant d'années à rattraper, tant de choses à nous raconter. Toutes ces années sans nouvelles de lui, sans une lettre ou une carte pour mon anniversaire ou Noël, rien...

Il n'avait pas pu m'oublier, c'était impossible. Je voulais que ce soit impossible. Je ne voulais même pas l'imaginer. Nous étions trop proches l'un de l'autre pour que cela n'arrive. Et pourquoi mes parents évitaient-ils de m'en parler ? Pourquoi tous ces silences et tous ces secrets ? Pourquoi ma mère était-elle contrariée et pourquoi Alain était-il parti vivre dans le Sud sans donner de nouvelles ? Je sentis une énorme boule - une gigantesque boule - se développer dans mon ventre. La douleur me fit tellement mal que je me pliais en deux. La vérité m'apparût soudain évidente et tout mon enthousiasme dû à la grande nouvelle de la journée retomba. Mon cœur battait la chamade. Et je n'arrivais pas à reprendre mon souffle entre deux battements. Je pris de profondes inspirations mais l'air semblait ne plus pouvoir rentrer dans mes paumons. Ma tête commença à tourner et je crus que j'allais m'évanouir.  Je comprenais enfin la raison de son absence. La boule ne disparaissait pas et semblait prendre du volume. J'avais dû être aveugle pour ne pas réaliser en deux mois ce qui s'était passé durant mon absence :

Mon frère était mort.

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  • Bienvenue dans ce blog où je souhaite exprimer des activités artistiques différentes comme l'écriture. Mes univers hors littérature classique ou contemporaine vont de la Science-Fiction à l'Anticipation, ou à des idées plus décalées, juste pour le fun :-)
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