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mon univers littéraire décalé
1 août 2014

Un temps à ne pas... (chap 6)

Tous les soirs, mon père faisait des efforts que je devinais colossaux pour ne parler qu'un minimum. C'était ma punition. Les soirées passaient, semblables les unes aux autres, dans le silence. Malgré tout, j'étais heureux. Heureux d'être avec mes parents. Je tentais - souvent vainement - de faire quelque chose pour leur faire plaisir. Mais je pense que je n'étais pas très doué pour ça.

Mon père était le plus froid des deux. Je ne lui en voulais pas. La seule personne à qui je pouvais faire des reproches était moi-même. Je savais bien que je cumulais les erreurs, semaine après semaine. Ce qui fâchait le plus mon tendre père était mon inactivité. Combien de fois m'avait-il demandé si j'avais trouvé un travail ? Dix fois ? Vingt fois peut-être. Je ne savais plus les compter. Cette semaine, j'avais rempli un dossier de demande d'emploi avec l'assistante de l'ANPE où ma mère m'avait déposé. Je n'avais toujours pas de réponse à ce jour. J'avoue que je ne savais pas trop comment m'y prendre à dire vrai. Tout ce que je voulais, c'était ne plus être une charge pour mes parents et que l'ambiance dans la maison se détende.

Mais les jours et les semaines passaient. Ma mère fumait de plus en plus, me semblait-il. Souvent, je les entendais discuter très fort alors que j'étais monté dans ma chambre. Je m'en voulais d'être une charge et de créer une tension entre eux. J'essayais de me rendre le plus utile possible à la maison. J'aidais ma mère dans le jardin à arracher les mauvaises herbes, je ramassais les feuilles mortes. J'avais même proposé à ma mère de l'aider à faire le ménage mais elle avait une femme de ménage qui s'occupait de tout. Elle avait rajouté "Et en plus, je n'ai pas envie que tu casses tout". Depuis mon retour à la maison, il ne me semblait pas avoir cassé quelque chose. Mais peut-être l'avais-je par inadvertance et mes parents ne me l'avaient pas dit pour ne pas me contrarier. 

Nous étions début avril, le printemps s'était un peu rafraîchi et parfois, le ciel s'assombrissait, il pleuvait longtemps. Il pleuvait des après-midi entiers. Je passais de longs moments à regarder les gouttes épaisses s'écraser contre les vitres.  La pluie était parfois si forte qu'on aurait pu penser qu'elle voulait les briser.

Quand j'avais 10 ans, et que j'étais rentré à l'Institut Médico-Educatif, la pluie était vite devenue quelque chose d'inaccessible. Au Centre aussi. Des années plus tard. Mais cela concernait plus les "Oxus". Lorsqu'il pleuvait beaucoup, lorsque l'on pouvait entendre le bruit cinglant des gouttes sur le toit des ateliers et du foyer, nous savions que nous allions rester dans les locaux. Nadia et moi passions alors des heures, dans les bras l'un de l'autre, à regarder les averses et les orages. Nous en profitions pour discuter. Olivier, l'un de nos moniteurs, nous avait expliqués, depuis bien des années déjà, que nous n'étions pas autorisés à sortir lorsqu'il faisait vraiment mauvais temps. Comme il disait souvent, en parlant avec les autres moniteurs :

"Aujourd'hui, il fait un temps à ne pas mettre un handicapé dehors !"

Nous comprenions. Alors les heures passaient dans le chahut des disputes et des jeux d'intérieur. Nadia et moi riions beaucoup en regardant certains de ces jeux. Mais parfois, nous préférions rester seuls sous la lumière artificielle du réfectoire, car c'était là qu'il y avait le plus de fenêtres. Le réfectoire du foyer était un lieu aseptisé. Il était grand puisqu'il devait accueillir les 30 pensionnaires du foyer à l'heure des repas. Mais de part et d'autre, 4 grandes fenêtres découpaient les murs blancs et ouvraient sur les jardins et la serre. Sur les murs étaient disposées ça et là des affiches "lavez-vous les mains" "Protégez-vous des autres, protégez les autres de vous" "l'alcool, la drogue et le tabac : des fléaux qui tuent" "zone non-fumeur".

Elles avaient dû être colorées et voyantes mais le temps les avait passées. Elles faisaient tellement partie du décor comme nous ne les voyons mêmes plus. Nombre d'entre nous ne savait même pas ce que cela signifiait des "protégez-vous des autres". Moi je savais car mon chef d'atelier me l'avait expliqué une fois. Je lui avais demandais car je ne comprenais le rapport entre le slogan et ce cercle en plastique. Maintenant je rougissais à chaque fois que quelqu'un prononçait le verbe "protéger". Les rapports sexuels au foyer étaient fréquents et plus ou moins discrets. Et j'avoue que j'aurais été très étonné qu'ils soient "protégés". En repensant aux slogans, je me disais qu'il faudrait un jour que je prévienne ma mère sur les effets du tabac. Elle ne devait probablement pas le savoir autrement elle n'aurait pas fumé autant qu'elle le faisait depuis quelques semaines.

Un de mes anciens collègues aux "Espaces Verts", Charlie, restait souvent avec Nadia et moi. Il aimait bien notre quiétude. Il travaillait toujours à la serre. Il adorait ça. Il était très gentil avec nous. Il faisait beaucoup rire Nadia avec ses histoires obscènes. Moi je rougissais. Il s'avançait vers nous les jours de pluie, tout prés des fenêtres, et partageait notre silence. Lui aussi était handicapé de naissance. Outre pour raconter des bétises, il parlait peu mais savait écouter. Lorsque j'avais commencé à ressentir des sensations bizarres pour Nadia, je lui en parlais. Avec mes mots. Il ne disait rien. Je ne savais pas vraiment s'il comprenait tout ce que je lui expliquais car ce n'était pas toujours très clair dans ma tête. Il était là et je lui en étais reconnaissant.

Un jour il m'avait dit qu'il m'enviait.

Je crois surtout qu'il enviait mes jambes et le fait qu'elles pouvaient me porter. Lui était cloîtré dans son fauteuil, les bras forts croisés sur les genoux malingres. Son regard restait souvent dans le vide de ses pensées ou nulle part. Je n'ai jamais vraiment su. J'avais vraiment de l'amitié pour lui et du respect. Il avait la force de se battre, malgré son handicap qu'il savait définitif. Il ne savait pas compter et les moniteurs n'avaient pas pu le mettre à la caisse de la Serre, à son plus grand regret. Ce qu'il préférait, c'était le contact avec les gens de passage. Ceux qui aimaient les plantes et les fleurs. Ce que les autres ne comprenaient pas, ceux qui ne le connaissaient pas comme moi je le connaissais, c'est que malgré ses problèmes d'élocution et son mutisme, il aimait vraiment le contact. Comme il ne voulait pas quitter l'atelier "Serre", il s'occupait de l'arrosage des bacs. Il passait ses journées avec le tuyau d'arrosage, à surveiller le débit. Parfois il souriait et personne ne comprenait pourquoi. Je crois qu'il était heureux d'être là, de respirer en permanence d'odeur de la terre et de la chlorophylle. C'était Olivier son chef d'atelier. Celui qui disait "un temps à ne pas mettre un handicapé dehors" ce qui semblait faire rire certains des autres moniteurs. D'autres semblaient ne pas trouver ça drôle. Nous nous trouvions ça normal.

J'avoue que cette petite phrase ne m'avait jamais quitté. Surtout ce lundi. Ce fameux lundi où je suis parti. Où je devais partir. Je devais partir et pourtant il pleuvait ce jour-là. Juste avant que mes parents n'arrivent et que l'on se retrouve dans le bureau de la Directrice, nous étions restés ensemble un long moment avec Nadia. Yeux dans les yeux. Elle était triste, je le savais. Elle acceptait cependant ma joie comme un parfum d'une vie nouvelle. Une vie qu'elle espérait connaître un jour. Autre part. Nadia croyait en la réincarnation. Elle croyait qu'elle payait pour des erreurs passées et que la prochaine serait meilleure. Elle m'en avait parlé après avoir regardé un film de Claude Lelouch "Des Jours et des Lunes" en fin d'année dernière. Elle me disait qu'elle n'était pas malheureuse en fait, qu'il lui fallait juste attendre. Attendre et profiter de la vie qu'elle avait.

J'avais été très étonné qu'elle puisse me dire quelque chose de pareil. Je n'y avais jamais pensé en fait. Après une longue discussion sur le sujet, je restais convaincu qu'il ne s'agissait que d'un film et que la vie était bien plus simple. Bien plus binaire. Je ne voyais pas cela comme une fatalité car j'avais la chance d'être heureux et positif. J'avais autour de moi des gens qui m'aimaient, des parents et un frère adorables - que j'aimais plus que tout - et mon travail me plaisait. C'est vrai que j'avais un certain handicap, une jambe et un bras qui ne me facilitaient pas toujours la vie, mais je n'étais pas seul. Et c'est tout ce qui comptait pour moi.

Bien avant l'arrivée de mes parents j'avais déjà préparé toutes mes affaires. Mes deux vieilles valises, où j'avais réuni mes vêtements, mes souvenirs et mes livres étaient posées sur le lit. J'avais fait un tour de ma petite chambre me souvenant de tous les bons - et les mauvais - moments passés ici. Les grandes discussions du soir avec Nadia, nos nuits d'amour, mes nuits de solitude, mes moments de doute. Tout revenait en moi comme un dernier au revoir.

Mon petit lit n'avait plus de draps. Juste le matelas et le vieil oreiller. L'armoire en bois était entrouverte et vide. Je rentrais dans le petit cabinet de toilette et rangeais mes dernières affaires dans ma trousse. J'avais toujours détesté le rose des murs mais j'eus un petit pincement lorsque je refermais la porte de la salle de bain. Je déglutis et bus de l'eau au goulot de ma bouteille. L'eau me redonna de sa vie. Je la sentis qui apaisait ma gorge et la dénouait. Je mettais soigneusement ma trousse dans ma valise. Tout était bien rangé car je voulais que ma mère voie que je suis ordonné.

J'avais laissé plusieurs de mes livres à Nadia mais j'avais remporté les derniers : ma collection de "Dune" que je venais seulement de commencer et les 3 tomes du "Seigneur des Anneaux" de Tolkien que je n'avais pas encore lus. C'était Nadia qui me les avait offerts pour mon dernier anniversaire en décembre dernier.

"Toc toc"

Celle qui s'occupait du foyer pénétra dans la chambre et inspecta rapidement la pièce et la salle de bain. Elle me sourit et me fit la bise :

"Tu vas nous manquer mon bonhomme !"

Je lui rendis ses baisers. Mon ventre se serrait un peu. Je lui laissais mes deux valises et allait rejoindre ma blanche neige. Elle se trouvait dans sa chambre et faisait semblant d'être affairée à trier des disques. Je n'étais pas dupe. Je m'approchais d'elle et m'assis sur le lit. Son bras était recroquevillé inhabituellement et ses épaules voûtées. Elle me grimaça ce qu'elle aurait voulu être un sourire et articula avec les yeux brillants :

"Ne dis rien, s'il te plait".

Je respectais sa volonté. Elle se leva et sortit de la chambre. Elle s'arrêta vers la porte ouverte et me tendit la main. Je la suivais et refermais la chambre derrière moi. Peu après, nous étions allés au réfectoire. Le moment s'approchait. C'était l'heure de la pause et des pensionnaires étaient réunis. Nous étions prêts à aller dehors, sur un banc, lorsque la pluie commença à tomber. Ce fut tout d'abord que quelques gouttes mais elle accéléra son rythme à chaque minute.

Nous étions sous le perron lorsque olivier passa avec un autre moniteur. Nous échangions un regard avec Nadia. Ses yeux brillaient toujours. Nous savions tous les deux quelle réflexion nous était venue à l'esprit. Elle m'avait regardé de son bleu chaleureux, triste et tendre. Même Charlie avait fait une torsion sur son fauteuil pour me montrer son envie. Personne ne disait mot. J'étais à la fois heureux et anxieux. Je regardais la vieille pendule murale avec une fréquence que je devinais agaçante pour Nadia. J'attendais avec impatience.

La secrétaire de la Directrice vint me chercher, envoyé par Mme Ghosta :

"Peux-tu venir, Florian. Tes parents sont arrivés et ils t'attendent dans le bureau de Mme Ghosta".

La pluie tombait toujours drue dehors. Je passais le perron, Nadia me regardait. Elle souriait mais je distinguais les larmes qui coulaient le long de son beau visage infantile. Ses cheveux bruns étaient un peu balayés par les rafales de vent qui s'engouffrait dans le réfectoire. L'air était frais et humide. Le vent me caressait le visage. Il m'invitait. Je sortis sous la pluie. Je sortis sous la pluie car aujourd'hui tout était différent.

Ce soir, nous étions plus d'un mois après. La pluie était revenue. Tant de choses avaient changé. J'étais chez mes parents, chez nous. Je réfléchissais aux moyens de trouver un travail en regardant la pluie s'acharner sur les primevères qui étaient apparues sur la pelouse du jardin. Ma mère était dans le salon, devant la cheminée. Je cherchais mon pull du regard mais il était introuvable. Ma mère n'avait pas tricoté depuis plusieurs jours déjà.  Je ne savais pas où elle avait caché mon cadeau de bienvenue, qui me semblait n'être plus seulement de bienvenue étant donné que j'étais revenu depuis bientôt deux mois. Mais je savais bien qu'une mère avait ses secrets et réservait toujours des surprises à ses enfants.

Combien de fois avait-elle organisé des anniversaires inattendus et superbes à Alain ? Je ne pourrais le dire car j'étais petit. Le seul souvenir lié à ces anniversaires était qu'Alain voulait toujours que je sois là, parmi ses amis. Même les fois où ma mère voulait m'emmener en ville ou me laisser chez la nounou pour la journée. Alain était "Lion". Il était né le 18 août. Quand j'étais encore petit, il m'avait offert un petit Lion en peluche. Sa fourrure était toute douce, comme mon frère avec moi. Mon cœur se pinça. Je me rappelais que lorsque mes parents m'avaient emmené, il y a déjà bien longtemps, à l'I.M.E alors qu'Alain était parti en Vacances chez Papy et Mamie. Ce jour-là, je n'avais eu le temps de prendre mon Lion avec moi. Chose qui était très rare. Si j'avais su que j'allais rester là-bas, je ne l'aurais probablement pas oublié. Mais mes parents m'avaient dit qu'on allait voir Alain chez mes grands-parents. Je n'ai d'ailleurs jamais compris pourquoi ils avaient changé d'avis en cours de route. J'avais réclamé mon lion - mon Goliath - à ma mère à chacune de ses visites. Je savais qu'il m'aiderait à m'endormir. Il m'aiderait à m'endormir comme mon frère lorsqu'il me racontait des histoires.

Mon frère savait très bien raconter des histoires. Un soir, alors que je n'arrivais pas à dormir, il était venu dans ma chambre et m'avait raconté l'histoire de Peter Pan. Je m'en souviens comme si c'était hier. J'avais tellement été captivé par l'histoire que non seulement ça ne m'avait pas endormi, mais j'avais demandé à mon frère de la raconter encore. Comme il était tard, il n'avait pas voulu et m'avait simplement fait un câlin. Deux minutes plus tard, je dormais. Si j'avais eu mon lion, je sais que je l'aurais pris alors dans mes bars et que je l'aurais serré très fort. Je ne l'ai jamais revu. Ma mère n'avait pas dû le retrouver.

Il devait donc être encore ici aujourd'hui, quelque part dans la maison. Je ne l'avais pourtant pas vu dans ma chambre. Mais c'était vrai que tous mes jouets et peluches avaient disparu. Le reste de la chambre était resté tel que dans mes souvenirs, mais les objets s'étaient envolés. J'imaginais que ma mère avait dû ranger toutes mes affaires dans des cartons au grenier, pour les jours où je reviendrais à la maison. Je pensais à ces longs moments où j'aurai tant aimé l'avoir dans mes bras et je me retournais vers ma mère, toujours assise auprès du feu :

"Maman ?"

Elle se tourna vers moi en soufflant, comme si je la dérangeais dans une œuvre importante. J'avais pourtant pensé qu'elle ne faisait rien. Je me trompais souvent.

"Oui, alors ?!" me demanda t-elle, légèrement agacée.

"Peux-tu me dire où est le petit Lion en peluche que m'avait offert Alain, s'il te plaît ?"

Elle me répondit en se retournant vers la cheminée :

"Mais j'en sais rien, moi. Je ne me rappelle même plus de cette vieille peluche. Elle doit être au grenier, ou certainement à la poubelle".

Je n'y croyais pas.

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