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mon univers littéraire décalé
8 décembre 2013

Dieu, etc (jour 12)

12ème jour

 

Après que Visiu m’ait quitté la veille, Nasia avait passé un long moment dans ma chambre à me tenir compagnie. Elle était manifestement heureuse que j’aille mieux et son bonheur était contagieux. J’avais l’impression de rayonner.

Je lui avais expliqué, à sa demande, la source de ma réaction. Cette captivité inconsciente et les expériences réalisées par notre ami commun sur mon corps pendant ce temps. Elle n’avait pas eu l’air surprise. Je lui avais bien entendu demandé si cela s’était déroulé de la même manière pour elle, et la discussion avait été assez surprenante :

-       « En fait, je n’ai aucun souvenir » m’avait-elle affirmé

-       « Ca doit être terrible d’être amnésique », compatissant, espérant la consoler.

-       « A dire vrai, non. C’est une sensation fantastique. j’ai l’impression de n’avoir jamais existé avant mon réveil ici, il y a quelques mois. Je m’éveille à la vie, à une nouvelle vie, j’imagine. Mais du coup, chaque sentiment, chaque émotion qui naissent provoquent un profond bouleversement à la fois dans mon corps par les réactions qu’ils entraînent et dans mon esprit pour les formidables portes qui me sont soudainement ouvertes »

-       « L’autre jour, lorsque tu as ri, c’était donc vraiment ta première fois ? »

-       « Oui, je n’avais jamais ri avant et je vous avoue que c’était un délice ! »

-       « Je suis heureux que ta première fois ait été aussi savoureuse, et aussi de l’avoir partagée avec toi ! » répondis-je en riant.

-       « Pourquoi cela est-il drôle ? » me demanda t-elle surprise, presque suspicieuse.

-       « Non, pour rien, c’était une métaphore » la rassurais-je. « Je n’en reviens pas en tout cas, tout cela est très étonnant, tu n’as vraiment aucun souvenir, même des impressions de déjà-vu ? »

-       « Rien du tout. C’est pour cette raison que j’étais fabuleusement émue lorsque j’ai lu Soie d’Alexandro Barrico ou encore lorsque j’ai vu Titanic, j’étais totalement submergée et c’était… c’était… sublime ».

-       « Et que connais-tu de tes origines ? Visiu t’en a déjà parlé ? Pourquoi t’aurait-il rendue amnésique, quel est l’intérêt ? »

-       « Je sais juste que je n’ai pas – ou plus - de peuple, je suis la seule dans mon genre désormais. Je comprends que cela puisse être déroutant et puisse donner un sentiment pesant de solitude, mais en réalité, non ».

 

Je souris de la voir si épanouie et si libre, pour la première fois. Bizarrement, cette intimité - lorsque j’allais si mal - nous a rapproché, comme si nous avions partagé quelque chose de particulier, rien qu’à nous, que personne ne pourra jamais comprendre.

Je me penche vers elle et, sans même calculer le geste, je pose délicatement ma main sur la sienne. C’est à la fois une jouissance et une douleur, comme aurait pu le dire le dernier hétéro. Je ressens simultanément une vive décharge électrique qui fait redresser les poils sur mes avant bras, et quelque chose que je décrirai assez proche de l’orgasme. J’ai presque la tête qui vacille pendant un quart de seconde. Sa peau est chaude sous la mienne, comme de la soie. Etrange aussi, ou plutôt différente. Différente de tout ce que j’ai pu connaître auparavant. On dirait un mélange sophistiqué de texture humaine et d’une matière textile soyeuse. C’est étonnant. Je n’ai plus envie de retirer cette main, je n’ai plus envie de vivre sans sentir cette peau sous la mienne.

Je suis addict.

Je lis dans ses yeux la surprise que ce premier contact éveille chez elle. La surprise et…

 

Et elle se lève doucement, tel un papillon qui s’envole sur un souffle de vent, et disparaît dans un rayon de soleil.

Je crois que je suis amoureux.

 

 

Mes rêves cette nuit ont été assez érotiques ! Je passe sur les détails. Je me lève, retire les draps et vais me doucher. Je suis heureux d’être heureux. J’ai toujours été fasciné par les spirales, qu’elles soient positives ou négatives. Dans tous les cas, plus le temps passe, plus leur attraction devient exponentielle. Quand le bonheur est là, on rayonne, tout semble nous réussir, et l’appréhension de notre environnement semble plus facile, donc on arrive beaucoup plus à l’adapter à nos desiderata. L’inverse est vrai, et souvent très dangereux.

Du fait de mon caractère et de ma capacité à positiver, j’ai toujours eu la chance de sortir de sphères obscures pour me retrouver rapidement dans d’autres, mais ce n’est pas pour autant qu’il faut renier les périodes sombres. Ce sont celles où j’ai le plus appris sur ce qui m’entoure, sur ma préhension de leur signification, et donc sur moi-même. Les périodes fastes sont celles où je réussis à optimiser ce que j’ai en moi, pas celles où je progresse le plus.

Je suis bien conscient, alors que je me brosse les dents, que la situation dans laquelle je me trouve depuis mon enlèvement pourrait être totalement déstabilisante et me détruire à terme, mais suite à cette période noire, je suis désormais heureux d’avoir fait le deuil de mon ancienne vie. Aurais-je cette sensation de liberté ce matin autrement ? Je serai toujours sur des velléités de retrouver la Terre, mes amis, mon existence d’avant. Aujourd’hui, mon esprit est axé sur demain, sur ma future vie, sur Nasia peut-être aussi.

Sur Nasia aussi probablement.

Sur Nasia aussi, sûrement.

 

Visiu vient me rendre sa petite visite et c’est avec un grand sourire jovial que je l’accueille, ce qui manifestement le réjouit.

-       « Je ne vous demande pas si vous avez passé une bonne soirée et si vous avez bien dormi » lance t-il en s’asseyant, comme un pote qui vient prendre l’apéro.

-       « Tout va plutôt bien, merci »

-       « Nasia ? »

 

C’est aussi bien une question qu’une affirmation, et ce ton me met un doute :

-       « Tu m’espionnes, Visiu ? »

-       « Quand ça ? »

-       « Hier soir, quand j’étais avec Nasia, tu nous as espionnés ? »

-       « Non, je n’en ai pas eu besoin. Il m’a suffit de voir Nasia avec le même regard que le vôtre pour comprendre qu’il se passe quelque chose. Vous êtes si lisibles, vous les êtres humains »

-       « Lisibles ? »

-       « Oui, lisibles. Transcendés par l’amour. Mais bon, j’imagine que c’est un sentiment très agréable »

-       « Tu n’as jamais été amoureux »

-       « Amoureux non. J’aurai envie de dire que je ne suis pas fait pour connaître l’amour mais, en fait, je ne me suis jamais retrouvé dans une situation qui le permette »

-       « Mais sur votre planète Gé, comment faites-vous les enfants ? »

-       « Euh… Il n’y a pas d’enfant, et tout va très bien »

-       « Mais alors, comment pérennisez-vous votre civilisation ? »

-       « La question ne se pose pas comme ça. Mais cela n’a que peu d’importance. Ce qui l’est en revanche, c’est ce sixième jour que je ne connais pas encore !

-       « Quelle impatience, bientôt tu vas taper du pied comme un gamin mal élevé dans un supermarché qui fait une crise quand sa mère ne veut pas céder à un caprice ! » dis-je en le charriant.

 

Bon, je constate que le temps passe mais il n’a toujours pas saisi l’humour terrien ! Ce n’est pas gênant pour la Création et la Genèse, car il n’y a quand même que très peu de passages qui nécessitent un brin d’humour ou de folie ! Quoique...

-       « Dieu dit : Que la terre produise des animaux vivants selon leur espèce, du bétail ; des reptiles et des animaux terrestres, selon leur espèce. Et cela fut ainsi. Dieu fit les animaux de la terre selon leur espèce, le bétail selon leur espèce, et tous les reptiles de la terre selon leur espèce. Dieu vit que cela était bon »

-       « Oui, donc c’est comme le cinquième jour, mais au lieu des mers et du ciel, c’est sur la terre quoi ! C’est un peu du remplissage là quand même ! »

-       « Ne sois pas si impatient, il va se passer quelque chose de particulier cette fois-ci ! Puis Dieu dit : Faisons l’homme à notre image… »

-       « Faisons ? Ils sont plusieurs maintenant ? »

-       « Beinnnn… »

-       « Tous les autres jours de la Création, à chaque fois, la syntaxe a été la même, si ce que vous me dites est exact : Dieu dit et les choses furent. Tandis que pour l’homme, Dieu fait, et en plus on dirait qu’ils s’y mettent à plusieurs. Pourtant, si j’ai tout compris, il est bien le Seul et Unique Créateur de toute chose ? »

-       « Oui, il est le seul et unique créateur »

-       « Il se prend pour votre acteur terrien, Alain Delon, il parle de lui à la troisième personne ? Ou comme César ? »

-       « Je pense qu’il voulait juste marquer le coup ! Montrer qu’il se passait quelque chose de particulier, d’ailleurs, écoute la suite : Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu’il… »

-       « Oulala mais c’est quoi ce bug là ? L’homme est à l’image de Dieu ? C’est à dire que Dieu a un corps, une tête, deux jambes et deux bras ? Mais c’est n’importe quoi !! »

-       « Mais Visiu je… »

-       « Il a toujours été dit depuis le départ de la création que Dieu est un esprit, et d’un seul coup c’est Dieu qui ressemble à un homme !! Mais c’est vraiment se moquer du monde si on change les basiques au fur et à mesure ! »

-       « C’est ce que dit l’Ancien Testament, Visiu »

-       « Okay. Donc Dieu créé l’homme à Son image. Il est blanc ? noir ? Métis ? Gros ? Grand ? Blond ? Brun ? Ou petit rouquin asiatique anorexique ? »

-       « Disons qu’il est à l’image de l’être humain, pas spécifiquement, d’UN être humain en particulier »

-       « C’est absolument incompréhensible. Mais bon, soit. J’avais promis que je m’énerverai plus, donc je vous laisse continuer »

-       « Donc selon notre ressemblance, … »

-       « Ca me gêne vraiment ce nous, de qui peut-il bien parler outre de Dieu lui-même ? »

-       « DONC ! Selon notre ressemblance, et qu’il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre »

-       « Ca doit bien vous arranger, vous, les êtres humains, que les Textes Sacrés justifient votre élitisme autoproclamé sur tous les espèces vivantes de votre planète ! »

-       « Comment ça ? »

-       « Pensez-vous réellement que vous dominez les autres espèces ? Que vous soyez capables de fabriquer toutes sortes de moyens pour les asservir ou les tuer, certes, je n’en doute pas. Mais que vous les dominiez, j’avoue que ça me laisse plutôt dubitatif »

-       « Tout dépend ce qu’on entend par dominer, effectivement »

-       « J’ai passé beaucoup de temps à observer la civilisation humaine, et les autres êtres vivants. Vous êtes quand même la seule espèce incapable de s’adapter à son environnement, vous le pliez à vos besoins sans vous préoccuper de l’équilibre fragile qui existe sur Terre. Vous êtes des parasites »

-       « Bah écoute, sympa…. Je te trouve un peu dur, nous essayons quand même de préserver des espèces en voie de disparition désormais, ainsi que des végétaux, des zones protégées »

-       « Donc le fait que votre comportement ait détruit tous les équilibres et que vous ayez pris conscience, bien trop tard d’ailleurs de ça, vous donne une suprématie ? »

-       « Ce n’est pas ce que je voulais dire »

-       « Oui, mais dans les faits, par exemple : Dans la région d’Hawaii, des requins ont élu domicile dans les zones de surfs, donc on doit tuer les requins ? Vous ne pouviez pas aller surfer ailleurs ? Si ce n’est pas de l’élitisme autoproclamé, je me demande ce que c’est ! »

-       « Darwin a bien dit que la loi du plus fort a toujours raison, c’est une règle d’évolution »

-       « Il faut nuancer la loi du plus ou fort ou du plus apte avec la loi du hasard, et cela change tout »

-       « Il faudra peut-être étayer un peu plus, là, Visiu »

-       « Et bien, par exemple, vos dinosaures étaient à l’époque les animaux les plus puissants, les plus forts »

-       « C’est exact »

-       « Et boum ! Un météore et bye bye le Tyranosaure ! Vous, l’espèce humaine, considérez être prédominants sur toutes les autres espèces aujourd’hui et Boum ! Moi j’arrive, et vous êtes là à ma merci. Tout est relatif et le hasard apporte des variantes incommensurables aux potentiels de l’évolution de chaque espèce »

-       « Je comprends bien mais quand tu parles de moi, tu parles d’un individu, pas d’une espèce entière. Donc ton raisonnement ne tient pas debout mon pote ! »

 

J’avoue que je suis plutôt content de moi sur ce coup là, au moins je lui ai claqué son beignet.

-       « Qui vous dit que vous ne représentez pas l’espèce humaine désormais ? »

-       « Et tous les humains qui sont restés sur Terre ? »

-       « Qui vous dit qu’il reste des humains sur Terre ? Qui vous dit qu’il reste une Terre ? »

 

En parlant de claquer le beignet, en fait c’est bibi qui reste la bouche légèrement ouverte à fixer, ahuri, l’extraterrestre qui se lève avec majesté.

-       « Je vais vous laisser réfléchir là-dessus, je reviendrai finir le sixième jour demain »

 

...

Je sais qu’il faut que je ferme ma bouche.

 

Ils sont vraiment dangereux ces extraterrestres.

 

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