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mon univers littéraire décalé
6 décembre 2013

Dieu, etc (jour 10)

10ème jour

 

J’entrouvre les yeux, sortant d’un sommeil profond et je constate immédiatement qu’il y a quelque chose d’inhabituel : Visiu est assis sur le fauteuil, à me regarder sans un mot.

Je sursaute et m’assieds sur le bord de mon lit :

-       « Il s’est passé quelque chose de grave ? »

-       « Non » me répond t-il avec nonchalance, « mais comme je regrettais de n’être pas venu malgré tout hier pour discuter avec vous, j’ai un peu décalé mon planning pour venir dés ce matin »

-       « Nasia va bien, il ne lui est rien arrivé ? »

-       « Elle va très bien, elle viendra vous voir tout à l’heure ».

 

Je me calme alors que je reprends totalement possession de mes moyens :

-       « Tu te rends compte, cela fait déjà dix jours que je suis prisonnier ici, j’ai l’impression de ne pas avoir été sur Terre depuis des années »

 

L’extraterrestre se recale sur l’assise, apparemment pas très à l’aise. Cela me met, pour une raison que j’ignore – mon intuition, mon instinct masculin ? – la puce à l’oreille.

L’instinct masculin.

Bah oui, pourquoi on parlerait toujours de l’instinct féminin ? Les hommes aussi ont de l’instinct, peut-être probablement plus que la gente féminine en fait. Les femmes sont généralement beaucoup plus intellectuelles ou disons qu’elles intellectualisent beaucoup plus les situations que les hommes qui, très souvent, fonctionnent sans réfléchir sur un grand nombre de sujets. Donc pourquoi moi-aussi je n’aurai pas le droit d’avoir de l’instinct ? Enfin, ce n’est certainement pas le moment de lancer des théories bidon en éthologie.

 

Bref, anguille sous roche dans le comportement de Visiu qui me déclenche, comme ça au réveil – sympa – une petite boule dans le ventre :

-       « Pourquoi tu réagis comme ça, si je ne suis pas fou, cela fait bien dix jours que je me suis réveillé dans cette pièce et que tu m’as enlevé, non ? »

-       « Cela fait dix jours que vous vous êtes réveillé, effectivement »

-       « Et que vous m’avez arraché à ma planète natale… »

-       « En fait, pas exactement »

-       « C’est à dire pas exactement ? Ce n’est pas drôle de me faire peur dés le matin Visiu »

-       « Et bien, pour être tout à fait honnête, cela fait un peu plus de onze mois que nous sommes revenus de la Terre… Et vous avez été en période de sommeil profond pendant plus de dix mois… »

-       « Quoi ? J’ai passé dix mois à dormir juste comme ça ? »

-       « Disons que cela m’a permis de faire différents tests pendant que vous dormiez »

 

Sans même m’en rendre compte, je sens mes doigts qui caressent la cicatrice découverte sur mon torse. Visiu suit du regard mon geste et prend un air gêné :

-       « Oui, j’ai fait quelques prélèvements pour comprendre comment fonctionne le corps humain, j’avoue… »

-       « Tu as joué avec tes petits copains à Dr Maboule avec mon corps ???! »

-       « Je ne sais pas exactement ce que vous sous-entendez par là mais effectivement, j’ai dû réaliser quelques expériences, sans danger pour vous, ne vous inquiétez pas, pendant votre inconscience artificielle »

 

Je me sens violé.

Je sais, c’est débile, mais le fait qu’on ait abusé de mon corps, pénétré dans mon corps, découpé MON corps pendant que j’étais inconscient me donne un sentiment de viol. Soudainement, je me sens souillé, comme si le bien être physique que j’ai depuis mon arrivée n’était qu’un monstrueux mensonge. Je me touche. Je ne reconnais plus ce corps. Je ne sais pas ce que ces extraterrestres lui ont fait. Ce corps – mon corps - me dégoute.

Je me lève précipitamment et rentre dans la salle de bains pour vomir mon repas de la veille, le tout enrobé d’une bile bien acide.

J’entends, plus que je vois, Visiu sur le pas de la porte de la salle de bains qui me lance un profond et apparemment sincère : « je suis désolé », mais je ne me retourne même pas. Je ne veux pas le regarder. Il me faut le temps d’accepter la situation.

Ses pas quittent la pièce et je reste au-dessus de la cuvette, la tête pleine d’images des films gores des années 80/90.

 

Quelques minutes – heures ? – plus tard, je suis dans la même position au-dessus de la cuvette. Je me rends bien compte que cela fait un moment que je n’ai plus rien à rendre, mais je suis comme pétrifié, m’accrochant aux toilettes pour ne pas me laisser tomber sur le sol immaculé.

Vaguement, mon esprit prend conscience que quelqu’un est sur le seuil de la salle de bains. C’est comme si j’étais trop défoncé, que je n’arrivais pas à me dé-scotcher de la cuvette, tournant en boucle sur cette imprégnation non consentie qui me colle au cerveau comme une crotte de nez récalcitrante et dégoutante dont on n’arrive pas à se débarrasser.

 

-       « Je peux faire quelque chose ? » me demande une voix douce.

 

C’est Nasia.

Je ne sais pas si j’ai envie de la voir. Je ne sais pas si je vais supporter de la voir. Je ne sais pas si je vais supporter qu’elle me voie comme ça. Et après tout qu’importe, elle se fiche bien de moi. Elle est même probablement de mèche avec Visiu depuis le départ.

En même temps, c’est Nasia. Ma seule amie ici bas. Ici haut.

Tous ces sentiments contradictoires me révulsent à nouveau l’estomac et je me tords de douleur en essayant d’évacuer tout ce mal. Mais plus rien de sort. Je suis vide. Je ne suis plus rien. Je voudrais juste disparaître comme ça. M’éteindre et tout oublier.

 

Une heure ? Deux heures ? glissent dans une immobilité presque surnaturelle. La respiration tranquille de Nasia s’impose dans le silence comme une ancre apaisante.

Sans même m’en rendre compte, sa présence me rassérène à chaque seconde. Tel un vampire qui s’ignore, je pompe son énergie pour reprendre possession de mon esprit, de mon corps, de mon âme. La nausée n’est plus qu’un vague souvenir et des effluves qui flottent dans l’air malsain. Avec un courage effronté, je tends le bras et j’appuie sur le bouton de la chasse d’eau. Tel Noé lors du déluge, je contemple avec une certaine peur, mais sans regret, cet ancien monde qui disparaît dans une tornade au fond de la cuvette.

Je suis de nouveau.

Quoiqu’il se soit passé, je suis de nouveau moi, intègre physiquement –jusqu’à preuve contraire – et psychologiquement.

 

Lentement, je me retourne et arrime mon regard dans celui de Nasia qui ne me quitte pas sans ciller. Un sourire de reconnaissance m’anime et avec une voix qui me semble revenue d’outre-tombe, je lui adresse un simple « Merci », certainement le plus complexe de ceux que j’ai pu dire.

 

Elle ne dit rien.

 

Elle est là, et c’est suffisant.

 

Elle est belle mon extra-terrestre.

 

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