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mon univers littéraire décalé
5 décembre 2013

Dieu, etc (jour 9)

9ème jour

 

Bien après que Visiu m’ait quitté, j’avais eu le plaisir la veille d’avoir la visite de ma Nasia.

Elle était vêtue d’une combinaison différente, d’une matière chatoyante qui donnait une impression de vibration sensuelle lorsqu’elle bougeait. J’avais bien entendu, comme tout gentleman bien élevé, accueilli son arrivée avec un grand sourire et des compliments sur sa nouvelle tenue. Je ne pourrais pas dire qu’elle avait rougi – comme si E.T pouvait rougir – mais son battement de cils avait accéléré.

J’étais content qu’elle soit flattée.

Elle s’était confortablement installée à sa place habituelle et avait croisé les jambes avec maladresse, comme si elle essayait de reproduire un comportement longuement observé, qui lui semblait approprié dans la situation actuelle. Sa pose lui donné un air désarticulé, probablement très loin de ce qu’elle espérait, mais qui me toucha malgré tout, je ne saurai dire pourquoi.

J’avais profondément envie d’en savoir plus sur elle car, après tout, à part son prénom et les quelques sous-entendus qu’elle avait fait, je ne la connaissais absolument pas.

-       « Si au lieu de parler littérature, tu me parlais de toi Nasia, pour une fois ? »

-       « Pour quelle raison devrais-je vous parler de moi ? »

-       « Parce que cela m’intéresse, tout simplement » lui avouais-je, presque gêné de la simplicité de ces quelques mots.

 

Elle prit une profonde inspiration et sembla réfléchir, comme si elle essayait de se souvenir de quelque chose :

-       «  Et bien je… Rien ne va plus, je n’aime plus le monde dans lequel je vis et… les gens autour de moi »

-       « Y compris moi ? »

-       « Ne me coupez pas, s’il vous plait. Donc, les gens autour de moi et l’inertie de mon existence qui se dérobe sous mes pas sans que je puisse l’en empêcher » poursuivit-elle en levant sa main pour me la montrer, comme si ses doigts fins à la texture si étrange confirmaient ce qu’elle me disait.

-       « Je ne comprends pas, Nasia, qu’est-ce qui vous pèse autant… Puis-je vous aider d’une manière ou d’une autre ? »

-       « 500 invitations ont été envoyées, toute la bonne société de Philadelphie sera là, et vous savez ce que je ressens moi ? j’ai l’horrible impression d’être dans une pièce pleine de monde et j’ai beau hurler comme une folle, il n’y a personne qui se soucie de moi »

Tout d’abord interloqué par une telle verve chez Nasia, généralement si timorée, puis plongé dans l’incompréhension en entendant la ville de « Philadelphie » !! Quel pouvait bien être le rapport entre cette jeune extraterrestre et Philadelphie ? Je me retrouvais rapidement soupçonneux : tout cela avait un air de déjà vu mais je n’arrivais pas à le resituer dans le contexte.

Un film.

C’était une réplique d’un film qu’elle jouait devant moi comme si de rien n’était. Kate Winslet. Di Caprio. Titanic !! Mon Dieu – Encore lui ! – Elle me joue une scène de Titanic pendant notre conversation ! J’hallucine !!

 

Comme je la sentais malgré tout gauche et déstabilisée, je pris le temps de prendre une profonde inspiration, déjà pour faire passer ma colère spontanée, puis pour transformer cet absurde dialogue en quelque chose qui au moins m’amuse. Avec un air résigné à sa future réponse, je lui dis :

-       « Vous l’aimez ? »

-       « Je vous demande pardon ? » me répond t-elle, dans le rôle.

-       « Est-ce que vous l’aimez ? »

-       « vous êtes bien impoli, vous n’avez pas à me demander ça »

-       « Mais c’est une simple question. Vous aimez ce type ou non ? »

 

Avant qu’elle ait le temps de répondre, j’enchaîne directement, quittant le rôle de Jack Dawson pour improviser à ma sauce :

-       « Il faut absolument que vous me répondiez avant que nous percutions l’iceberg, que le Titanic – l’Insubmersible – coule et que je me retrouve mort congelé dans l’océan Atlantique… »

 

Oh miracle, au lieu de mal réagir, comprenant qu’elle est démasquée, elle papillonne des yeux un moment puis se met à rire, d’un petit rire cristallin qui semble la surprendre elle-même.

Elle rougit soudainement, presque interloquée et me regarde :

-       « Qu’est-ce que cette sensation et ce bruit qui est sorti de ma bouche ? »

-       « Un rire »

-       « Un rire ? Je n’ai jamais ri auparavant, c’est si agréable, comment cela se fait-il ? »

-       « C’est une sensation délicieuse car on rit généralement quand on est heureux… » affirmais-je en lui souriant.

 

Encore tout chamboulée, elle se leva, la main sur la gorge, telle Madame Bovary rencontrant Rodolphe lors des comices agricoles. Je m’attendais presque à ce qu’elle sorte de sa combinaison une fiole de sels ou un mouchoir imprégné d’eau de Cologne. Puis elle disparut dans le rectangle lumineux.

 

 

Je me lève ce matin, rassuré de ne pas me souvenir avoir fait un rêve érotique ou mélodramatique, genre Nasia et moi s’effondrant dans les océans glacés et essayant de la sauver à tout prix, quitte à sacrifier ma vie par amour.

Le Grand Amour ultime puisqu’il est passionnel et éphémère, qu’il n’aura jamais le temps de connaître le Dévastateur : « le quotidien » et son rouleau compresseur de routine qui écaille chaque jour les sentiments pour les rendre pour acquis et inférieurs aux tracas journaliers de la vie.

L’idéal, dans un sens.

Mais si jamais j’ai eu de tels rêves cette nuit, après la « discussion » - la scène – avec Nasia, je n’en ai aucun souvenir conscient.

Alors que je rentre dans ma douche pour laisser ruisseler l’eau douce et chaude sur mon corps, je ne peux m’empêcher d’être touché. La colère qui a pu m’envahir la veille sur le moment, en m’apercevant que cette conversation à laquelle je tenais tant était écrite par un autre, et donc dépourvue de toute spontanéité et vérité, s’était évanouie rapidement pour laisser place à un constat plus profond : le film et la scène choisis par Nasia ne l’avaient pas été par hasard.

Titanic est un film sur la passion, et sur deux personnes faites pour se rencontrer mais pour lesquels les circonstances sont indubitablement dramatiques. N’est-ce pas le cas pour nous deux aujourd’hui ? Depuis bientôt dix jours, je suis prisonnier, enlevé de mon monde, probablement à tout jamais, sans connaître d’aucune manière la finalité de cette nouvelle expérience. Mais je ne me fais pas trop d’illusions : cela ne peut pas bien se finir pour moi. Visiu a été clair sur le fait que je ne rentrerai jamais sur Terre. Je suis donc condamné à rester ici jusqu’à ma mort naturelle, tant que je suis utile. Et cette éventualité est la plus positive…

Mais si Nasia a fait ce choix, ce n’est pas innocent de sa part. Elle a des sentiments pour moi.

Et rien que cette pensée me rend indubitablement heureux.

 

Pour une fois, je regrette qu’il n’y ait pas un miroir de pied. Comme par magie, celui-ci apparaît derrière moi et je me retrouve devant ce corps nu qui me regarde, comme s’il s’agissait d’un étranger.

L’homme n’est pas spécialement beau, mais pas spécialement laid non plus. Un Monsieur-tout-le-monde, si le monde existe encore. Si ça se trouve, je suis aujourd’hui ce que je n’ai jamais été : le plus beau spécimen terrien de l’univers ! En me tournant, j’observe ce corps avec lequel je vis depuis longtemps. J’ai l ‘impression d’avoir vieilli depuis la dernière fois où je me suis regardé aussi attentivement. Il faut dire que je ne passais pas mes journées à le faire.

Je remarque à droite sur ma cage thoracique une cicatrice dont je ne me souviens pas. Elle est propre, lisse, comme découpée au laser. Une fine lame de peau blanche presque invisible.

Inquiet, je la tâte, la caresse, la pince. Il ne s’agit pas d’une griffure mais bien d’une cicatrice…

Malgré moi, je sens du plus profond de mon être une boule d’angoisse. Et si… Et si ils avaient fait des expériences sur moi pendant mon sommeil ?

Non, ce n’est pas possible, une telle ouverture n’aurait pas cicatrisé aussi rapidement et j’aurai eu au moins un peu de douleur le lendemain.

Je reprends mon souffle et décide de m’habiller pour me changer les idées. J’en profite également pour faire quelques pompes et abdominaux, il n’y a rien de mieux que le sport pour oublier tous les soucis du quotidien.

Enfin, c’est ce qu’on m’a toujours dit car j’ai toujours eu une profonde horreur du sport. Je fais trois pompes et me congratules avant de m’effondrer sur le sol.

 

Mon plateau m’attend sagement, appétissant, lorsque je sors enfin prêt. Je le dévore en attendant l’arrivée de Visiu comme tous les jours.

 

Les heures passent…

 

Pas de Visiu.

Pas de Nasia.

 

Et si ils avaient fait des expériences sur moi pendant mon sommeil ?

 

Ils sont vraiment salauds ces extraterrestres…

 

 

 

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  • Bienvenue dans ce blog où je souhaite exprimer des activités artistiques différentes comme l'écriture. Mes univers hors littérature classique ou contemporaine vont de la Science-Fiction à l'Anticipation, ou à des idées plus décalées, juste pour le fun :-)
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