Dieu, etc... (jour 4)

4^ème jour

Je me réveille comme tous les matins ? Je me rends compte que je n’ai plus aucune notion de rythme journalier. Est-ce vraiment le matin ? Les jours sont-ils structurés avec les mêmes cycles sur Gé que sur ma planète natale ?

Avant même d’ouvrir les yeux, je sens une présence dans la pièce qui me sert d’espace de vie. Avec une discrétion plus digne d’un Grand blond avec une chaussure noire que d’un 007, j’entrouvre un œil. Nasia est installée sur l’assise descendue du plafond et elle m’observe avec attention. Je me redresse et m’assieds sur mon lit. Tel le fils caché de Jean Piaget et Gérard Miller, J’essaye avec l’acuité d’un aigle psychologue de deviner quelles peuvent bien être ses pensées. Ses grands yeux sombres garnis de cils voluptueux ont un éclat étrange, j’aurai presque envie de dire « inhumain » si ce n’était pas enfoncer une porte ouverte. Quoique…

Quoiqu’en regardant bien, la jeune extraterrestre ne ressemble en rien à mon copain Visiu. Elle est physiquement bien plus « humaine », morphologiquement parlant. Sa posture est indéniablement féminine, presque sensuelle. Le tissu tendu sous sa poitrine me donne pratiquement envie d’en savoir plus…

Ouala !

Quatre jours sans sexe et voilà ! Je commence à fantasmer sur une extraterrestre ! En 96 heures, je suis devenu le Brandon dans « Shame » !! Mais version Starwar.

Il me faut un psy de suite !

Je garde mes pensées – mes fantasmes – ma culpabilité - pour moi et souris de toutes mes jolies dents Colgate :

-       « Dis-moi Nasia, depuis que je suis ici, je n’ai rencontré que Visiu et toi. Je suis en quarantaine ? »

-       « Je ne sais pas. Que signifie ce terme ? »

-       « Que je suis isolé pendant une certaine période au cas où j’aurai des microbes ou quelque chose de toxique qui puisse contaminer votre peuple ».

-       « Je ne sais pas ».

-       « Mais tu sais quoi alors ? »

-       « Pas grand chose en fait, je suis là pour apprendre ».

-       « Si tu ne sais rien, tu ne me sers à rien » dis-je pour la faire réagir.

Elle frotte, croise et décroise ses mains. Enfin un comportement que, fin observateur, je peux interpréter : je l’ai vexée ou énervée. J’aime ça ! D’un ton beaucoup moins aimable – donc j’ai eu une bonne interprétation – elle me répond :

-       « Peut-être que je sais des choses mais que je n’ai pas l’autorisation de vous en parler ».

-       « Peut-être que tu ne sais rien et que tu dis ça pour te rendre intéressante »

-       « Non, c’est faux ».

-       « Alors prouve-le moi… Apprend-moi quelque chose sur votre peuple … »

Subitement, elle se lève, les mains sur les hanches – un comportement si humain et féminin – et se dirige vers la sortie. Mais elle se ravise et se retourne au dernier moment. Décidément, c’est la mode chez les Géens :

-       « Visiu et moi n’appartenons pas au même peuple, et moi je n’ai pas de peuple… »

Et elle part, me laissant sans voix.

Je reste un long moment à ruminer tout ça. Déjà, fier de moi à mon habitude, je me félicite de ma perspicacité : ils ne sont pas de la même race, d’où les différentes physiques évidentes. Mais pourquoi dire qu’elle n’a pas de peuple ? Peut-être est-elle la dernière d’une race décimée ? Une extermination pratiquée par Visiu, si ça se trouve. Peut-être était-elle à une époque sa prisonnière tout comme je le suis actuellement ? Alors peut-être que la Terre n’existe plus ?

Suis-je le dernier être humain ?

Tout en continuant à explorer les différents scenarii possibles, je me lève, me douche et me prépare. Je prends même le temps de me raser. Je constate en contemplant mon image dans le miroir que bientôt mes cheveux seront plus longs qu’ils ne l’ont été depuis bien longtemps. Je devais aller dans la semaine chez le coiffeur. Je me demande si sur Gé il y a une chaîne Visiu Dessange ou Gé-Tiffs & Co, parce que les cheveux poussent vraiment vite ici.

A son habitude, une fois que je suis prêt, mon copain E.T ne tarde pas à faire sa petite visite quotidienne, comme un médecin à son malade condamné. Ne pouvant oublier les paroles de Nasia, je le regarde désormais différemment : Est-il un destructeur de mondes ? Un geôlier sans pitié ? Pourquoi toutes ces questions sur le seul sujet qui semble réellement l’intéresser : Dieu ? Craint-il pour son âme après ses pêchés ?

L’assise qui avait repris sa place dans le plafond descend sans un bruit pour accueillir son nouvel hôte, probablement à sa demande muette, et il grimace son sourire habituel.

-       « Avez-vous bien dormi ? » demande t-il.

-       « Et toi ? Tu dors bien ? »

Il semble surpris que je lui pose une question. Il s’adosse au fauteuil et plisse légèrement les yeux, me jaugeant.

-       « Je ne dors pas. Je n’en ai ni l’occasion, ni le besoin ».

-       « Qu’est-ce que tu fais de tes journées à part me poser des questions sur Dieu ? Tu passes de pièce en pièce – de cellule en cellule – pour poser les mêmes questions à tes invités ? »

-       « Vous êtes mon seul invité. Je passe le reste de mon temps à la contemplation et à la réflexion »

-       « Tu te morfonds ? Tu as des regrets ? »

-       « Des regrets ?? Pour ? » me répond t-il à la fois interloqué et intéressé.

-       « Je ne sais pas, des remords pour des actes passés, que tu pourrais regretter, ou pour lesquels tu pourrais te sentir coupable ? »

-       « Pour me sentir coupable, il faudrait que je puisse être jugé et cela n’est pas le cas. Je ne connais pas les remords, les regrets, la culpabilité ou tous ces sentiments, cela semble si… humain ».

-       « Donc tu ne… »

-       « Assez de questions sur moi pour aujourd’hui. Nous n’en sommes qu’au premier jour dans tes explications de « Dieu est celui qui a tout créé ». Je suis impatient de discuter de la suite… »

Soyons objectif : je suis prisonnier sur une planète inconnue. Aucune possibilité de m’échapper. Imaginons que, par miracle, je puisse sortir de ma cellule et que, par la magie du Saint Esprit – comme par hasard – je trouve un vaisseau spatial en état de marche avec le plein de gasoil. J’ai toujours été un grand fan de la Guerre des Etoiles et des films de Science Fiction, j’ai mon permis voiture ET moto, et j’ai même passé de longues heures en mode solo sur ma console à piloter des vaisseaux mais bon, pas de fausses illusions : je suis sûr que les commandes sont un peu plus complexes en réalité.

Donc je n’ai pas un choix immense sur le comportement à avoir. Etant, je le rappelle, d’une nature positive, je me plis à ses desiderata pour le moment,  sans autre alternative constructive :

-       « Dieu dit : Qu’il y est une étendue entre les eaux, et qu’elle sépare les eaux d’avec les eaux. Et Dieu fit l’étendue, et il sépara les eaux qui sont au-dessous de l’étendue d’avec les eaux qui sont au-dessus de l’étendue. Et cela fut ainsi. Dieu appela l’étendue ciel. Ainsi il y eut un soir, et il y eut un matin : ce fut le second jour. Ensuite Dieu dit… »

-       « Oulala ! Minute papillon !! Je ne comprends rien du tout !! Dieu a donc mis une étendue : le ciel, entre l’eau et l’eau. Alors les océans et les mers sur la terre, je vois bien ce que c’est ; mais alors les autres eaux, où sont-elles passées ? Parce que, du coup, si on part de la Terre, il y a : la terre avec les océans, ensuite le ciel – ce qui déjà n’est pas bien clair car entre les cieux créés le premier jour et le ciel, je ne vois pas trop – ensuite de l’eau encore ?? »

-       « Il y a des océans sur Gé? »

Je tente, il n’y a pas de raison !

-       « Non, il n’y a pas d’océans mais ce n’est pas ma question »

-       « Alors vous ne buvez pas d’eau naturelle sur Gé, juste de la Contrex ? »

-       « Je ne bois pas d’eau » répond t-il, comme en automatique.

-       « Que de l’alcool alors ou des jus de fruits ? » Je ne lâche pas le morceau.

-       « Je ne bois rien ! Je n’en ai pas besoin » finit-il par dire, agacé que je ne réponde pas à sa question.

Je note ça dans un coin de ma tête. L’information n’a pas beaucoup d’utilité, mais ça me donne toujours l’impression d’avoir gagné une petite bataille. Je prends le temps pour lui répondre, sachant que sa propre question me pose de réels problèmes. A dire vrai, autant lors de mes cours de catéchisme que tout au long de ma vie, je ne me suis jamais vraiment posé de question sur les Textes.

Donc Dieu a effectivement créé le ciel pour séparer les eaux du dessous des eaux du dessus. Je ne me démonte pas et lui répond :

-       « Qu’est-ce qui te pose problème là-dedans ? »

Ce sera toujours quelques secondes de gagnées pour trouver la réponse.

-       « Et bien, les nombreuses fois où je suis venu sur Terre… »

-       « En vaisseau ? »

-       « Oui, bien entendu, je ne suis pas Superman »

-       « Oula ! Mais quelle culture humaine ! Je suis épaté. D’ailleurs, en parlant vaisseau et bout de chiffons, ils sont compliqués à conduire vos vaisseaux ou un petit bonhomme comme moi pourrait sans formation ? »

-       « C’est très complexe »

-       « Vous donnez des cours ? Juste comme ça, pour m’occuper ? »

-       « Non. Donc comme je disais, lors de mes nombreuses visites, je n’ai jamais rencontré d’eau avant le sol de la Terre, donc c’est un peu n’importe quoi, là ! »

-       « C’est parce Dieu, voyant toute cette eau qui ne servait à rien, à tout récupéré et stocké pour le futur ».

-       « Sous quelle forme ? »

-       « Sous forme de glace »

-       « Et où est-ce qu’il a emmagasiné toute cette glace ? »

-       « Bah dans le sous-sol de Mars. Bon, pendant le transport, ça a un peu fondu et y’en a un peu qui est tombé sur la Lune, mais la majorité a été mise au congel sur Mars ».

-       « C’est vrai qu’il y a quelques traces d’eau sur la Lune, j’en conviens. Le sous-sol de Mars comporte également de grands glaciers, je veux bien vous croire, ça tient debout ».

En parlant de debout, il se lève : c’était la fin du « deuxième jour », donc logique. Il part sans mot dire vers la sortie.

Non mais !!! Mars en congel, je n’aurai jamais cru que ça passerait si bien !

Qu’ils sont cons ces extraterrestres !