Dieu, etc (jour 3)

3^ème jour

Nasia - j’avais appris son prénom la veille - était revenue m’apporter de quoi me sustenter sur le petit plateau genre Air France, mais en plus appétissant. Les couleurs de la nourriture variaient et les saveurs aussi, mais c’était toujours le même plaisir à dévorer.

Alors que je me nourrissais, elle était restée vers moi, papillonnant des yeux en silence, m’observant avec curiosité. Au bout d’un moment, m’étant préalablement assuré que je ne mangeais pas comme un porc, ce qui n’aurait pas été correct envers mes hôtes - geôliers aurait sûrement été plus approprié, mais j’ai toujours eu cette tendance à positiver coûte que coûte – je posais les ustensiles designs sur le plateau et me concentrais sur l’extraterrestre.

J’osais un sourire :

-       « Comment tu t’appelles ? »

-       « C’est important pour vous, mon nom ? » me demanda t-elle avec une curiosité d’anthropologue.

-       « Si on est destiné à se voir tous les jours, oui, c’est important. Ca me permet de créer du lien, j’imagine. Mais autrement je peux vous donner un nom : Ginette, Kevina, Bernadette, Ghislaine… »

J’ai toujours adoré utiliser l’humour quand je rencontre une femme -  femelle -  enfin une extraterrestre quoi.

-       « Nasia » affirma t-elle sans sourire.

Décidément elle n’avait pas plus le sens de l’humour que Visiu.

-       « Je m’appelle Nasia » confirma t-elle.

Elle baissa les yeux, semblant réfléchir, prit sa décision sans mot dire et partit à son tour, sans même me demander mon prénom.

C’est ça, tire toi !

Qu’est-ce qu’ils sont malpolis ces extraterrestres !

Un peu énervé, je finis mes plats en ronchonnant en mode solitaire. Après avoir terminé - dommage qu’il n’y ait pas de pain pour saucer - je m’allongeais en soupirant sur mon matelas en suspension.

C’était blanc, c’était calme, c’était silencieux, c’était serein…

Mais qu’est-ce que je m’emmerdais !

Je me serais bien tapé un film là tout de suite. Un bon vieux blockbuster où tu ne réfléchis pas, genre la Guerre des Mondes, histoire de rigoler. Au alors, même un bon vieux navet par défaut. Je m’ennuyais tellement que je me serais même maté un film soutenu par Télérama, genre film bosniaque où une famille en exil traverse le désert pour échapper à une quelconque guerre et se retrouve obligée de manger la grand-mère pour survivre, pour dire !!

Mais rien.

Je me fis la réflexion qu’il faudrait quand même que je leur demande ce qu’ils ont dans leur filmothèque, vu que Visiu m’a dit qu’ils avaient fait des courses pendant toutes ces années d’observation sur Terre.

Ou alors, un bon bouquin.

Bougonnant à moitié, je fermais les yeux et finalement m’endormis paisiblement, comme la veille.

C’était sûr : y’avait un truc dans la bouffe.

Quand je me réveille le lendemain, même scenario. Je me lève, fais mes besoins dans le « kartell, une manière élégante d’aller à la selle » et ne peux m’empêcher de remarquer que je commence sérieusement à cocoter. J’ai toujours eu horreur de sentir la transpiration. On pourrait penser que c’est le cas pour tout le monde, mais pas du tout. Vous n’avez qu’à prendre le métro à 7h00 du matin, vous constaterez rapidement que ce n’est pas la règle. Y’en a qui ne savent pas que l’eau sert à autre chose que le Ricard, et que passer un savon ne signifie pas uniquement engueuler les gens.

Bref, je pue.

Au moment où je constate avec effroi que ça fait quand même trois jours que je ne me suis pas lavé – d’où ma supériorité pour juger les autres – l’équivalent d’une salle de bain s’ouvre dans le mur à ma gauche. Je m’y précipite avec curiosité, me déshabille…

Effectivement, je reconfirme : je pue.

C’est avec délice que je prends une bonne douche chaude arrosée de savon parfumé. Il suffit que j’y pense pour que les choses apparaissent.

Une fois bien séché, je reprends le tas d’habits en vrac posé sur le sol et pratique avec chic le « test nez ». Il faudrait que je leur demande s’ils n’ont pas un Lavomatic. En attendant, difficile de rester dans ma tenue d’Adam pour mon entretien avec Visiu qui ne saurait tarder. Un placard s’ouvre et une combinaison qui semble manifestement à ma taille est à ma disposition. Dis donc, je laisserai d’excellents commentaires pour le Room Service, c’est autre chose que les Mercure.

Je suis propre, détendu, je sens bon, j’ai une haleine à séduire une sirène et je m’assieds sur mon lit. Malgré moi, je me rends compte que je suis impatient que mon copain extraterrestre vienne me voir.

Et le grand rectangle s’illumine, et ce cher Visiu arrive. Je remarque qu’il porte la même combinaison que moi, ce qui était probablement le cas les jours précédents. Sauf que, bien évidemment, elle me sied bien mieux.

Pour la première fois, une assise descend du plafond et il s’installe devant moi, annonçant, je l’espère, que la discussion va être plus longue que les précédentes. Ce sera toujours mieux que de me morfondre tout seul.

Je m’apprête à faire la conversation, à parler de banalités genre « ce sera une année à fruits » ou encore « j’adoooore la déco et l’ambiance que vous avez créé dans cette charmante pièce » avant d’attaquer ses questions, mais il me devance :

-       « Vous m’avez dit hier que « Dieu est celui qui a tout créé », mais créé quoi ? »

Ca commence bien, pas d’échauffement. Je prends le temps de me réactiver sur mes cours assidus de catéchisme, qui datent quand même de pas mal de temps, et j’enchaine avec sourire et conviction :

-       « Il est dit dans La Bible… »

-       « Ah oui, le top 1 des best-sellers de ces cinquante dernières années sur Terre »

-       « Euh… Oui probablement… » répondis-je gêné de ne avoir l’information précise.

-       « La Bible, le Livre Rouge de Mao Tsé-Toung, Harry Potter, Le Seigneur des Anneaux, L’Alchimiste pour ne citer que les cinq premiers. On se demandait d’ailleurs si chacun représentait une religion ? »

-       « Mais vous blasphémez !! »

-       « Désolé, on les a tous trouvé aussi divertissants et de qualité les uns que les autres. Bien que j’avoue qu’à titre personnel, le premier m’a semblé plus confus sur sa finalité ».

Je prends le temps d’inspirer profondément. Ce n’était quand même que des extraterrestres, et on ne peut leur lancer la pierre pour leur manque d’évangélisation ! Ils n’ont pas eu la chance des indiens, des africains et de toutes ces civilisations qui ont eu le bonheur d’avoir fait l’objet de Missions.

Moi qui me suis toujours demandé quel était l’objectif même de ma présence sur Terre ! Je trouve peut-être THE réponse aujourd’hui même : je suis venu sur ma bonne vieille planète pour évangéliser les extraterrestres et je compte bien m’y appliquer.

J’attaque, avec conviction :

-       « Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre »

-       « S’il a créé les cieux et la terre, qu’en est-il des autres planètes ? »

-       « Bon, si tu me coupes tout le temps, ça ne va pas le faire. La religion n’est pas faite pour les questions mais pour les réponses. Au fait, ça ne te dérange pas si on se tutoie, c’est quand même plus sympa ».

-       « Je ne comprends pas ce que ca change le tutoiement ou le vouvoiement »

-       « Si je te dis vous me soulez, ça sous-entend c’est la dernière fois qu’on se voit, je ne vois pas pourquoi je ferai l’effort de voir quelqu’un avec qui je n’ai pas d’affinités et qui, de plus, me gonfle sérieusement. En revanche, si je te dis tu me soules, ça signifie qu’on est potes mais lâche moi un peu la grappe… »

-       « Quelle grappe ? »

-       « T’es lourd là, Visiu. Ca veut dire : je t’aime bien mais calmos, quoi »

A son habitude, mon copain le Géen reste silencieux un moment avec un masque de réflexion, puis cligne des yeux pour la première fois :

-       « Admettons… Donc, qu’en est-il des autres planètes ? » reprend t-il.

-       « Attends le quatrième jour ! Donc je reprends : Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre. La terre était informe et vide : il y avait des ténèbres à la surface de l’abîme, et l’esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux »

-       « Donc, il y avait déjà de l’eau ? »

-       « Humm… Je t’accorde que cette partie n’est pas très explicite mais bon, c’est peut-être lié à une lacune dans mes souvenirs… »

-       «  Et ensuite ? »

-       « Dieu dit : … »

-       « Parce qu’il parle ? Il parle quelle langue ? »

-       « Pfft ! DONC !! Dieu dit : que la lumière soit ! Et la lumière fut ».

-       « Efficace. Mais comment a t-il fait ? Il a appuyé sur un bouton ? »

-       « Mais t’es vraiment bouché Visiu, Dieu est celui qui a tout créé, donc il a créé la lumière aussi, logique non ? »

-       « Oui, mais les ténèbres étaient déjà là, donc Dieu n’a pas créé les ténèbres. Comment peut-il être le créateur universel si quelque chose existait avant ? Qui a créé les ténèbres en fait ? »

Je regarde mon interlocuteur qui semble honnêtement avide de connaissances, ce qui ne m’arrange pas forcément en ce moment. Comme je n’ai pas envie qu’il me bloque dés le départ, je me permets un petit arrangement :

-       « Il a dû le faire avant et comme c’était les ténèbres, et qu’on voyait rien, ils ont pensé dans La Bible que ça ne valait pas le coup d’éclairer ce passage ! »

-       « C’est de l’humour, ça aussi ? »

-       « Bravo !! Tu vois, on commence à se comprendre ! » lui dis-je avec satisfaction.

-       « Oui, j’ai compris la blague mais ça ne me donne pas la réponse à ma question »

-       « Bah c’est comme ça. Donc, j’en étais où ? Ah oui : et la lumière fut ! Dieu vit que la lumière était bonne ; et Dieu sépara la lumière d’avec les ténèbres. Dieu appela la lumière jour, et il appela les ténèbres nuit. Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin : ce fut le premier jour ».

-       « Et avant, y’avait quoi ? »

-       « Avant quoi ? »

-       « Avant le premier jour, c’était quoi ? »

-       « C’était le vide, personne ne savait quand on était, mais tout le monde s’en foutait comme y’avait personne ! »

-       « C’est pas idiot » constate t-il. « Ce qui n’est pas très clair par contre, c’est de dire que Dieu sépare la lumière des ténèbres. Il y avait les ténèbres, puis Dieu créé la lumière, je veux bien l’admettre. Mais donc par leur nature-même, ils sont séparés ; ce n’est pas une action divine puisqu’ils s’opposent et n’ont pas été créés simultanément »

-       « Oui, mais ça veut dire que Dieu a défini que quand y’aurait de la lumière, ce serait le jour et quand les ténèbres régneront, ce sera la nuit »

-       « Il a fait comment au niveau de la répartition du temps entre les deux ? 50/50 ? 60/40 ? Plouf plouf ? »

-       « Et bien, contrairement à ce que tu as l’air de croire, Dieu non seulement n’est pas idiot mais, en plus, il est proactif : il a déterminé qu’il y aura besoin de plus de jour pour pouvoir alimenter en lumière ses futures créations, et moins de nuit pour que toutes ses créations se reposent ».

A force de discuter, je profite d’un moment de réflexion pour boire un grand verre d’eau. Visiu reprend :

-       « Nous sommes à la fin du premier jour ? »

-       « Tout à fait, Visiu »

-       « Restons en là pour aujourd’hui, j’ai besoin d’assimiler toutes ces informations et d’y réfléchir. Nous continuerons demain ».

Il se lève et se dirige vers la sortie. Au dernier moment, il se retourne :

-        « Mais alors, qu’en est-il de pôle nord par exemple sur votre planète, où le jour et la nuit durent six mois chacun ? »

-       « Euh… Tu es sûr de ça ? »

-       « Oui. Ce sont les seuls endroits sur Terre où la nuit et le jour ont la même durée. Peut-être parce que les créations qui y vivent ont besoin de six mois de lumière et de se reposer un temps équivalent ? »

-       « Non… Objectivement, je ne pense pas. Mais tu sais, Dieu est comme les autres, je pense que, des fois, il a un peu merdé car il n’a pas pensé à tout… »

-       « Mouai » consent-il sans conviction en traversant le rectangle de lumière.

Ils ont vraiment des questions connes ces extraterrestres.