L'EPISCOPE - Partie 1 - Chap 3 a + b

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Suite à son décès lors de la confrontation pour récupérer la carte d’accès au Sunset, l’incinération de Lana avait fait l’objet d’une cérémonie discrète et intime. Seule la bande de la Ceinture des Anneaux était bien entendu présente. Le meurtre de la coéquipière par un sbire du Cartel avait gâché à Manny le plaisir de la réussite de la mission. Outre cet événement qui n’était pas des moindres, les deux missions avaient été couronnées de succès. Ils étaient désormais riches, possédaient un accès illimité aux quartiers huppés de la Ceinture du Sunset et s’étaient définitivement débarrassés de la bande de Zian.

Après la journée de deuil consacrée à Lana, chacun avait commencé à lister les tekbios qu’il souhaitait acquérir. Lors du transfert des listes individuelles sur le réseau interne,  une majorité des  prévisions de Manny furent confirmées. Il commença alors à organiser, grâce à un intermédiaire recéleur d’implants illégaux, l’accès à des cliniques peu regardantes sur les clients.

Un de ses équipiers le surprit cependant.

Sinus.

Au lieu des implants armés que Manny avait imaginé pour lui, il eut une demande qui lui sembla bizarre : un tekbio de communication longue distance. Quels pouvaient donc être ses besoins de communiquer à longue distance dans la Ceinture alors que tous ceux qu’il connaissait se réduisaient aux membres de la bande ? Le leader rechercha dans ses implants de mémoire dans quelles circonstances Sinus avait rejoint la bande de la Ceinture des Anneaux. Il s’agissait d’un jeune garçon, de huit ans son aîné, qui était arrivé un peu par hasard dans la bande alors qu’il n’en était pas encore le leader. Lors d’une rixe sur les quais Est de la Ceinture des Anneaux, ils étaient tombés dessus par hasard, il était seul et abandonné par sa famille. Il ne disposait que de peu d’implants et donc de peu de chance de survie dans ce cadre. Pierce, Alors leader de l’époque, craquant pour son joli petit minois, l’avait pris sous son aile et c’est ainsi qu’il avait rejoint l’équipe. Il avait fait ses preuves depuis et était un bon coéquipier. L’instinct de Manny lui dictait que quelque chose clochait, mais sans vraiment pouvoir mettre le doigt dessus. Une voix âgée ressemblant à la sienne, comme une sagesse lointaine, lui soufflait « Surveille le, ne le quitte pas d’une semelle, Manny. Tu en seras récompensé ». Souvent cette voix lui prodiguait des conseils avisés, aux moments où il en avait le plus besoin. Il la nommait depuis des années « l’instinct », ne sachant pas quel autre nom lui donner.

Malgré l’avertissement de son instinct, il s’était engagé à ne juger personne et à ne pas remettre en cause les choix individuels de la bande, tant que ce choix ne mettait pas en péril l’ensemble de l’équipe. Un tekbio de communication longue distance ne pouvait pas, a priori, porter préjudice à la bande. Au contraire, cela pouvait même servir à l’avenir. C’était la motivation de ce choix qui gênait le leader actuel de l’équipe. Comment cette idée avait bien pu traverser la tête de Sinus ? Il transféra ses doutes à Pierce sur réseau privé de la Sphère Universelle et enregistra l’information dans ses blocs mémoire pour trace et traitement ultérieur.

La Commandanté Ilina Vasia recevait le général Degar dans son bureau au sein de la Ceinture Fédérale qui entourait le Palais du Pontife. La pièce était intimiste. Un pan entier du mur du bureau était voué à la projection d’hologrammes qui lui présentaient en permanence des vues des différents secteurs de la Ceinture. Au milieu de la pièce, un hologramme complet de la Ceinture sans Colona I en son centre lui donnait une vision en trois dimensions de la vaste étendue à surveiller. Tous les secteurs étaient actuellement au vert, donc sécurisés.

-       Installez –vous, général Degar.

-       J’ai le rapport concernant ce que vous m’aviez demandé, comme prévu, commença t-il en s’installant en face de la dirigeante de la Fédération.

-       Les estimations en coûts et délais de la modification du code d’accès à la Ceinture du Sunset ?

-       Tout à fait. Il est clair, pour être synthétique, que c’est une opération de grande envergure. Vingt-quatre millions de familles vivent dans ces quartiers huppés et tous disposent, bien entendu, d’au moins une carte, et cela peut aller jusqu’à dix pour une même famille.

-       Et en chiffres ?

-       Si nous arrivons à négocier avec la Caste des Commerçants, nous pourrions réduire le coût unitaire à 5 sensos par carte. Soit, si on part sur une moyenne de 5 cartes d’accès par famille, un total de 600 millions de sensos.

-       C’est une vraie fortune, même pour la Royauté. Et on ne pourrait pas faire payer tout ou partie par chaque famille, ce qui reviendrait à 25 sensos unitaires ?

-       Commandanté, vous connaissez bien ces milieux commerçants qui sont très pingres malgré leur vie aisée, un surcoût de cette sorte sera incompris et risque de créer un mécontentement important contre la Royauté.

-       Effectivement. Quels seraient les délais de mise en place ?

-       La fabrication, l’approvisionnement puis l’échange unitaire, à compter que nous mobilisions la moitié seulement de nos agents…

-       Il est clairement impossible que nous mobilisions la moitié de nos troupes pour une opération de ce type, trancha la Commandanté Ilina Vasia. Cela m’obligerait, ainsi que chaque général dont vous-même, à mettre en faiblesse la plupart des secteurs de la Ceinture et il en est hors de question ; surtout avec ce qui se passe en ce moment sans aucune maîtrise de notre part.

-       Donc à compter que l’on mobilise uniquement la moitié de nos agents, l’opération complète se réaliserait sur au moins trois mois et douze jours… en estimant que chaque famille sera disponible au moment désiré par nos agents, ce qui est peu probable.

-       Donc l’opération serait totalement inefficace, sachant que quelqu’un possède depuis plusieurs jours désormais une carte d’accès illimitée. Ca représenterait un coût non seulement prohibitif, surtout si on rajoute les salaires des agents mobilisés aux 600 millions de sensos, cela fragiliserait l’ensemble de la Ceinture. De plus, l’intrusion peut avoir lieu demain ou dans un mois…

-       C’étaient également mes conclusions, Commandanté.

-       Très bien général Degar, bon travail. Je transmettrai tous ces éléments au Pontife lors de la prochaine réunion demain matin, mais je pense qu’il sera d’accord avec nos conclusions. Je vous laisse retourner à vos responsabilités.

Degar se leva de son fauteuil, son dossier sous le bras et se dirigea vers le sas d’accès.

-       Au fait, Général ?

-       Commandanté ?

-       Des nouvelles de l’avancement des généraux Zon sur l’externe et Mayer en interne ? Je ne les ai pas encore vus aujourd’hui et leur réseau est inaccessible à la Sphère Universelle.

-       Je ne crois malheureusement pas qu’ils disposent de piste à ce jour, mais le délai est très court.

-       Nous ne disposons que de peu de temps pour identifier et agir si besoin. J’ai la nette impression que quelque chose se prépare sous nos yeux et que nous sommes hors course.

-       C’est également notre impression à tous, Commandanté.

-       Faites au mieux général Degar, et merci pour votre collaboration.

-       A vos ordres, Commandanté.

Il quitta la pièce, laissant Ilina Vasia seule devant une énigme pour laquelle n’avait pas toutes les bonnes questions, donc irrésolvable par nature. Quatre jours plus tôt, elle avait dû annoncer, dès le matin, lors de la réunion avec le Conseil de la Royauté et le Pontife en personne, que l’opération d’achat de la carte d’accès à la Ceinture du Sunset, et donc, finalement, à la Citadelle, avait été un échec. e pontife s’était mis dans une colère noire non seulement pour la perte de l’opportunité longuement mise en place pour obtenir cet accès mais aussi pour les 12 millions de sensos disparus appartenant au trésor de la Royauté. Imbrago – qui faisait également partie du Conseil - avait eu la délicatesse d’appuyer les analyses et décisions de la Commandanté devant le Pontife et avait ainsi apaisé la tension qui régnait lors de la réunion, au grand soulagement d’Ilina.

Le reste de sa journée avait été aussi détestable que la nuit précédente, à son bureau ou à courir à droite et à gauche, espérant trouver des réponses.  Les analyses se chargeaient dans ses tekbios de mémoire et lui donnaient une vue soit disant synthétique de la situation. Mais rien ne semblait clocher. Et c’était justement cela qui la chagrinait. Quelque chose n’allait pas, c’était une évidence. Et que tout semble si calme et paisible n’augurait rien de bon. Elle avait passé la journée à consulter ses implants de communication sur le réseau privé mis en place sur la Sphère Universelle avec ses deux agents en mode infiltration mais, malgré ses attentes, ils n’avaient eu aucune nouvelle. Pourtant elle savait qu’ils avaient pénétré avec les autres volontaires dans la Citadelle et qu’ils devaient avoir suivi la Cérémonie pendant la nuit. Ils avaient donc eu toute la journée pour lui faire un premier point comme prévu, grâce à leurs tekbios adaptés au Signe.

Mais aucune nouvelle.

Soit ils avaient été démasqués et tués, soit un autre dysfonctionnement imprévu était arrivé. Elle avait envoyé des équipes à l’identification de tous les corps morts cette nuit-là ainsi que les deux jours suivants, mais aucune trace, même dans la Ceinture des Anneaux, qui n’était pas une zone réellement sécurisée par la Fédération. Juste huit corps d’une bande interne découverts dans le Cyberbar l’Entrepôt, sur le quai nord. Probablement un règlement interne.

-       Zon au rapport, lui indiqua la Sphère Universelle.

Elle se connecta avec son général.

-       Nous avons réussi à remonter les traces thermiques d’un véhicule qui était manifestement garé prêt du hangar où l’échange a eu lieu cette nuit-là.

-       Sur tout son trajet ?

-       Sur pas mal de kilomètres en tout cas. Les dernières traces thermiques étaient faibles jusqu’à disparaître, ce qui signifie que le véhicule s’est arrêté un moment à l’endroit de destination.

-       Qui était ?

-       Le quai nord de la Ceinture des Anneaux.

-       Dites-moi que c’était devant un Cyberbar nommé l’Entrepôt.

-       Comment avez-vous deviné, Commandanté ?

-       Simple déduction. Il y a eu un combat et huit morts. Je vous transfère le fichier.

-       En effet, drôle de coïncidence…

-       Je ne suis pas à cette position hiérarchique parce que je crois aux coïncidences, général Zon.

-       J’en suis conscient, Commandanté. Pensez-vous qu’ils se soient entretués après les événements du hangar ?

-       C’est une possibilité, mais alors où sont la carte d’accès et les sensos ?

-       Donc tués par un commanditaire ?

-       Probablement. Mais qui aurait pu commanditer cette opération ?

-       Ca ne peut être qu’une puissance.

-       A qui pensez-vous ?

-       Le choix est large. On peut déjà éliminer les habitants de la Ceinture du Sunset, ayant déjà accès à la zone. Personne du peuple aurait les moyens technologiques de se battre contre un Gardien des Nuits et cinq sbires de la Transcédérale, ni l’envie d’ailleurs, ils ont déjà suffisamment à en débattre en interne dans la Ceinture Neutre. Il nous reste la Cour pour des raisons quelconques personnelles, La Mission Saint Eden, voire même le Cartel lui-même pour brouiller les pistes et récupérer le tout.

-       Et ils auraient sacrifié un Gardien des Nuits ? Ca me parait pas être une bonne piste, analysa Ilina, ils sont trop attachés à leurs investissements technologiques.

-       Ce qui laisse la Cour et La Mission.

-       Donc beaucoup trop de pistes encore, je vous laisse avancer. Disposez-vous d’éléments qui permettent d’identifier de manière univoque le véhicule ?

-       Non, les traces étaient trop anciennes et nous nous sommes focalisés sur les traces thermiques pour obtenir le trajet.

-       Vous avez bien fait, Zon. Bon courage pour la suite.

-       Commandanté…

Elle coupa la communication.

Ainsi donc, ces huit corps n’étaient pas extérieurs à l’affaire. Mais pourquoi assassiner ces gosses mutés ? Afin qu’il n’y ait pas de témoin ? Afin de laisser une fausse piste ? Elle enregistra les informations synthétiques sur la Sphère Universelle et encoda leur disponibilité à toute la Fédération. Peut-être un agent réussirait-il à connecter d’autres événements.

Ces quatre derniers jours, la Fédération n’avait pas réellement avancé sur l’affaire. Aucune de leurs questions n’avait trouvé réponse.

La Commandanté Ilina Vasia travailla encore tard ce soir-là et il était onze heure et demie quand elle décida qu’il était temps pour elle de rentrer chez elle. Elle n’avait pas pris le temps de dormir depuis la veille au matin et se sentait épuisée. Elle avait envie d’une bonne douche relaxante, et peut-être d’un petit câlin si son amant était à l’appartement… Ce qu’elle espérait de tout cœur.

Elle prit un véhicule communautaire et se laissa choir sur le siège alors que l’engin s’engageait sur l’autotractovoie. La disponibilité à tout moment et en tout lieu d’engins communautaires avait permis à une partie pauvre de la population de la Ceinture d’économiser l’achat d’un véhicule personnel, limitant ainsi la pollution de l’environnement fermé de la Ceinture. Donc des économies de production d’air, un gain de place pour tout un chacun, un pouvoir d’achat plus grand et une sécurité plus accrue puisque le système autotracté était prévu en mode automatique pour gérer toute collision et événement sur la voie. Depuis qu’il existait, il n’y avait eu qu’un seul dysfonctionnement, appelé « la grande panne » et remontait à une douzaine années.

 Un quart d’heure plus tard elle arriva chez elle. La lumière était allumée et elle sourit à l’avance en pensant aux futurs moments de plaisir avec son amant, largement bienvenus après ces cinq jours laborieux. Il était beau, sensible, simple et c’était, en toute honnêteté de femme, le meilleur amant de ses quarante premières années. En pénétrant dans l’appartement, elle défit son chignon strict et ses longs cheveux bruns tombèrent sur ses épaules, adoucissant son visage fin. Il l’attendait sur le canapé, un verre de Glacis à la main.

-       Bonjour ma chérie. Il l’accueillit avec son sourire charmeur.

-       Hummm… frissonna t-elle de plaisir, tu es revenu Merin…

Et il la prit dans ses bras chaleureusement.

Très chaleureusement.