Dieu, etc (jours 6 et 7)
6ème jour
Que dire…
Je me suis réveillé le cœur lourd et l’esprit vide, me souhaitant que cela reste ainsi, c’est toujours plus confortable que la souffrance de la folie qui grignote les neurones.
Un plateau était posé à côté de mon lit, comme la veille…
Pas de Nasia, bien entendu. La conversation de la veille a dû désamorcer la création virtuelle de ce personnage, ce n’est pas plus mal après tout.
J’ai essayé de manger, sans beaucoup de succès.
Je ne me suis pas lavé.
Je ne me suis même pas brossé les dents.
Je me suis rallongé dans mon lit, en position de fœtus jusqu’à l’arrivée – Oh surprise ! – de Visiu.
- « Alors, quoi de neuf aujourd’hui » me demande t-il d’un ton presque enjoué.
- « Rien »
- « Vous avez envie de parler aujourd’hui de Dieu et de la Création ? »
- « Non »
- « Vous avez envie de parler de quelque chose ? »
- « Non »
- « Vous voulez que je reste un peu pour vous tenir compagnie ? »
- « Non »
- « Vous préférez que je vous laisse seul ? »
- « Non ».
- « Dites moi, ce n’est pas très clair ce que vous dites ! »
- « Non »
Il reste quelques instants comme indécis, puis décide de partir.
Juste au moment de passer dans le rectangle de lumière, comme souvent désormais, il se retourne :
- « Ahh, au fait, avant que j’oublie. Nasia n’a pas pu venir ces deux derniers jours, mais elle reviendra dès demain »
Et il disparaît.
Alors que j’ai l’impression de tomber la tête la première dans un gouffre, n’ayant plus prise sur la réalité successive, une seule pensée obscurcit mon esprit :
« Connard »
7ème jour
Je me réveille en chantonnant l’air qui traîne dans ma tête « Could It Be Magic », chanson écrite par Barry Manilow et interprétée par Donna Summer.
Je suis d’excellente humeur aujourd’hui, et je sens nettement que, depuis la veille où cette saloperie vicieuse d’extraterrestre m’a confirmé que je n’étais pas assez fou pour créer un personnage virtuel, j’ai repris possession de ma réalité et de mon esprit.
Je doute… donc je suis… pas fou.
Ca fait du bien. En plus, aujourd’hui, si tout se passe comme Visiu l’a dit, je vais revoir Nasia et ça aussi ça fait chaud au cœur. Je me suis promis la veille – croix de bois, croix de fer, si je mens, je vais en enfer – que je serai gentil avec elle. Finies la manipulation et la méchanceté gratuite. J’espère qu’elle ne m’en voudra pas trop, pour l’autre jour.
Je suis curieux de savoir ce qu’elle a bien pu faire ces deux jours d’absence. Peut-être me le racontera t-elle ?
Mais pour l’instant peu importe. Ma mission, si je l’accepte, est de laver ce corps sale et de me faire tout beau.
« Baby I love you come, come – come into my arms – let me know the wonder of all of you »
J’aime sentir l’eau glisser sur mon corps, retirer à la fois les toxines physiques et psychiques. Je me sèche, je me sens un être neuf. Alors que je siffle en retournant vers mon lit, entendant le chuintement léger de la cloison de la salle de bain qui se referme derrière moi, le rectangle lumineux apparaît.
Ce n’est pas la silhouette habituelle de Visiu.
C’est Nasia !
J’ai presque envie de courir vers elle au ralenti, de lui dire combien je suis désolé, de la prendre dans mes bras et de la faire tourner de bonheur dans la pièce…
Euh… On arrête le délire, là.
Du calme, du calme. Je me contente d’émettre enjoué un :
- « Bonjour Nasia, ça fait plaisir de te revoir »
- « Vraiment ? » me demande t-elle en s’installant dans l’assise qui descend du plafond. « Je croyais que je ne servais à rien »
- « Je suis désolé de t’avoir dit toutes ces choses, je ne les pensais pas »
- « Alors pourquoi les avoir dites ? »
- « Pour essayer de te soutirer des informations, je pense. Peut-être aussi pour me venger de la situation dans laquelle je suis, enlevé de ma planète natale et captif ici, enfermé entre ces quatre murs… »
- « Je comprends… J’accepte vos excuses »
- « Maintenant, racontez-moi ce que vous avez fait de beau ces deux jours d’absence ! » lui dis-je avec un grand sourire engageant en m’asseyant sur mon lit.
- « J’ai lu et j’ai réfléchi »
- « La littérature Géenne existe ? je serais très intéressé d’en lire, je m’ennuie tellement toute la journée entre ta visite et celle de Visiu »
- « Non, je ne crois pas qu’il existe de littérature Géenne, il s’agit de littérature terrestre que Visiu m’a donné »
Mon impression que l’extraterrestre avait stocké sur la planète des éléments de culture terrestre était donc bien fondée. Je comptais bientôt en profiter aussi mais, pour l’instant, je préférais me focaliser sur la jeune Nasia.
- « De quoi parlait ce livre ? Je le connais peut-être ? »
- « Soie de Alexandro Barrico »
- « Mais je l’ai lu ! » m’exclamais-je avec joie, pouvant enfin partager quelque chose avec quelqu’un qui me rattache à ma terre d’origine.
- « C’est un très bel écrit. C’est, si j’ai tout compris, un livre sur la passion, les sacrifices, les besoins d’amour de l’être humain. Très intéressant »
- « J’ai adoré ce livre »
- « Ce que je n’ai pas compris, c’est pourquoi son épouse, alors qu’elle aimait follement son mari, a t-elle agi ainsi sans jamais rien lui dire ? Cet acte me paraît absurde et douloureux. Etait-elle masochiste ? »
- « Pas du tout. C’est justement parce qu’elle l’aime plus que tout qu’elle fait cela. Elle satisfait totalement l’amour de sa vie en se créant une rivale pour satisfaire aux fantasmes de son époux. Elle le comble ainsi totalement, dans la réalité du quotidien et dans ses rêves ».
- « C’est beau. Est-ce que tous les humains vivent cela ? Est-ce une historie vraie ? »
- « Je ne sais pas si c’est une histoire vécue, mais probablement. Pas telle quelle, sûrement, mais j’imagine que cela a dû se passer. C’est un idéal, nous allons dire. C’est ce que chaque humain souhaiterait vivre. C’est d’ailleurs probablement pour cette raison que cette œuvre a rencontré un tel succès. C’est son universalité et intemporalité »
- « J’aime l’idée de l’amour… Cela me fait rêver en quelque sorte. Il faudra que l’on en discute les prochains jours »
- « Avec plaisir »
- « Je reviendrais tout à l’heure vous apporter à manger »
Je comprends qu’elle doit partir et, avec regret, je me lève pour la regarder disparaître dans le rectangle blanc.
Je passe peut-être une bonne heure allongé sur le lit à réfléchir avec délice à la conversation que j’ai eu avec la jeune extraterrestre. Pour la première fois, je ne sens vraiment plus seul et l’absence de ma vie précédente me pèse un peu moins.
Le rectangle s’allume de nouveau et mon ami l’E.T. arrive.
Il s’installe et, tout sourire :
- « Comment allez-vous aujourd’hui, vous avez l’air manifestement mieux que ces deux derniers jours »
- « Oui, j’avoue que je me sens en pleine forme. Je tiens cependant à te dire que ce n’est vraiment pas sympa ce que tu m’as fait ? »
- « L’enlèvement ? »
- « Oui, ça non plus ce n’était pas sympa. La liste est longue ! Mais alors, le coup de me faire croire que Nasia n’existait pas, c’était le pompon »
- « Pour qu’un être humain apprécie ce qu’il a, on doit lui retirer. C’est du moins l’impression que j’ai eu en vous observant toutes ces années. Vous ne savez pas apprécier ce que vous avez à disposition tous les jours jusqu’à ce que cette chose disparaisse, c’est totalement absurde. Comme vous aviez été désagréable avec Nasia la veille, j’ai décidé de réagir de cette manière. Ai-je eu tort ? »
Je n’ai pas beaucoup de choix si je veux être honnête :
- « Non… Merci »
- « Vous voyez que ce que l’espèce humaine a défini comme Syndrome de Stockholm existe, vous commencez à le vivre… »
- « Et toi, tu recommences à m’énerver » lui dis-je en souriant, bien malgré moi.
Je sais intérieurement qu’il a totalement raison. J’éprouve de la reconnaissance – voire même de l’affection – envers Visiu pour m’avoir rendu Nasia. C’est très pervers. En avoir conscience et le vivre pleinement me paraît encore plus pervers.
C’est comme la lessive : après encore plus blanc que blanc, bienvenue au encore plus pervers que pervers.
Je préfère encore revenir sur Dieu et sa création dans la Genèse :
- « Si je me souviens bien, nous avions terminé le deuxième jour »
- « Tout à fait » confirme Visiu en élève studieux.
- « Dieu dit : Que les eaux qui sont en-dessous du ciel se rassemblent en un seul lieu, et que le sec paraisse. Et cela fut ainsi. Dieu appela le sec terre, et il appela l’amas des eaux mers. Dieu vit que cela était bon. »
- « Ca se voit bien qu’il n’a jamais gouté de l’eau salé, c’est infect » me dit mon interlocuteur avec une grimace qui, cette fois-ci j’en suis sûr, est une vraie grimace de dégout.
- « Dans les huitres, c’est bon. C’est pas vraiment de l’eau salé, j’en conviens, c’est de iode, mais bon… Je continue »
- « Avant que vous poursuiviez, j’aimerai quand même bien que vous m’expliquiez : Dieu fit que le sec paraisse et il l’a appelé terre. Okay, je comprends le principe mais, si on réfléchit un peu, si la terre était alors recouverte d’eaux, comment a t-il fait déjà pour rassembler les eaux, puisque ce n’était qu’une étendue, et comment faire pour que du sec apparaisse ? C’est physiquement impossible qu’une étendue d’eau recouvrant l’ensemble d’une planète, une fois délimitée sur des espaces plus petits, permette que ces lieux soient immergés »
- « Avec son pouvoir divin, il a dû tendre les mains et… »
- « Mais il n’a pas de corps. Lors du premier jour de la création, les Textes disent bien que c’est son esprit qui se meut au-dessus des eaux »
- « Mais tu es fatigant Visiu. D’accord, il ne tend pas les mains, il n’a pas de mains ! Il lance alors de puissantes ondes astrales et télé kinésiques avec son esprit divin en direction des sous-sols de la planète pour faire cracher les volcans et déchirer l’écorce terrestre. Ainsi, l’eau tombe dans les abimes, l’océan qui recouvre toute la surface descend un peu de niveau, et les tremblements de terre font ressortir des pans entiers de terre qui sont secs, genre dans le film 2012, mais un peu plus plausible. Ca te va ? »
- « J’ai vu le film… Plus plausible en quel sens ? »
- « Bah écoute, très franchement, outre que c’est un bon divertissement, tu as déjà vu une limousine ou un petit avion faire des trucs pareils !! Et juste au dernier moment comme par hasard !! Faut pas pousser quand même !! Et en plus, avec un mec qui ne sait pas piloter !! Ne me charrie pas ! »
- « Admettons, admettons »
- « Et nous voici au grand final du troisième jour. Puis Dieu dit : Que la terre produise de la verdure, de l’herbe portant de la semence, des arbres fruitiers donnant du fruit selon leur espèce et ayant en eux leur semence sur la terre. Et cela fut ainsi. La terre produisit de la verdure, de l’herbe portant de la semence selon son espèce, et des arbres donnant du fruit et ayant en eux leur semence selon leur espèce. Dieu vit que cela était bon. Ainsi, il y eut un soir, il y eut un matin : ce fut le troisième jour »
- « Donc en une journée, des tremblements de terre, des volcans, les océans qui se retirent pour laisser du sec, des arbres et de l’herbe qui pousse avec des fruits et tout. Genre une mise en rayon en supermarché hyper bio quoi ! »
- « Dieu est très efficace, y’a pas à dire ! »
- « Oui, mais il a aussi créé, dans ce cadre, des espèces dangereuses, des plantes qui tuent, etc… Il voulait que le monde soit mauvais ? Comment peut-il penser que tout cela est bon ? »
- « La nature créée par Dieu est une créature en toute logique inférieure à son créateur, autrement elle serait parfaite et affirmerait le paganisme, ce qui serait un blasphème. Donc réfléchis un peu, Visiu, seul Dieu est parfait… »
Mon camarade extraterrestre ne parait pas très convaincu par mon discours passionné, mais n’en dit rien. Il semble absorbé par ses pensées, se lève et disparaît par le rectangle magique.
Ils sont attachants ces extraterrestres !
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